Un coup d’œil sur les partis politiques et les élections

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Un entretien avec Emilie van Haute

Pouvez-vous nous expliquer votre parcours et ce qui vous a poussé à faire de la science politique ?

Après mes études secondaires, j’ai beaucoup hésité entre plusieurs parcours, d’autant que le milieu universitaire n’était pas une évidence avec deux parents n’étant pas passé par là. J’ai tour à tour voulu me lancer dans les études d’architecture, de neuropsychologie, ou de communication. Pour finir, j’ai fait le choix d’un programme de candidatures à Saint-Louis, qui mêlait sciences sociales, sciences politiques et communication. Cela me laissait quelques portes ouvertes. Je pense néanmoins avoir toujours eu un intérêt pour l’analyse du politique, notamment via les histoires de mon grand-père qui, après avoir vécu à Jakarta et Shanghai dans les années 1920-1930, s’est lancé dans la carrière diplomatique. J’ai toujours adoré entendre ses récits des quatre coins du monde. C’est durant mes deux années à Saint-Louis que mon affinité avec la science politique s’est affirmée. C’était systématiquement les cours qui m’intéressaient le plus. En particulier, le cours de Lieven De Winter, en néerlandais à la KUBrussel (je m’étais engagée dans le bachelier bilingue), m’a mis sur la voie de la politique comparée. Ses défilés de 150 slides par cours sur les breuklijnen, la formation des gouvernements, ou les comportements électoraux, m’ont vraiment ouvert la voie. J’ai ensuite enchaîné avec une licence en sciences politiques à l’ULB. Les cours d’étude approfondie de science politique avec Pascal Delwit ou de partis politiques avec Jean-Michel De Waele ont confirmé tout mon attrait pour l’analyse des partis et des comportements politiques.

Pouvez-vous nous synthétiser quelques enseignements de vos recherches ?

Après plus de 20 ans comme chercheuse, la question force un peu au bilan et à l’introspection ! Mes recherches portent sur les partis politiques comme organisations, mais aussi sur les différents acteurs du politique et leurs comportements : citoyens et électeurs, adhérents et activistes, candidats et élus. Je partagerais sans doute des enseignements de mon parcours comme chercheuse, c’est plus facile. Pour moi, une des constantes dans mes recherches, c’est de ne jamais perdre de vue que l’individu se situe dans un collectif (‘no one is an island’!), et que le collectif, en retour, est fait d’individus, de relations personnelles et sociales.

Un autre élément central est de se nourrir des enseignements de la comparaison. Même si je peux être considérée comme spécialisée sur le cas particulier de la Belgique, c’est par mon inscription dans des réseaux et projets internationaux que j’opère ensuite un retour sur le cas belge. Enfin, c’est de rester ouvert sur le plan méthodologique, c’est-à-dire de partir de la question qu’on se pose, et de choisir le meilleur outil pour y répondre – et pas l’inverse !

Nous sommes actuellement en période pré-électorale. Y a-t-il un enjeu en particulier de cette campagne que vous souhaiteriez développer/commenter que vos recherches pourraient éclairer ?

Je suis très curieuse de voir autour de quels enjeux la campagne va se focaliser, et à quels groupes les différents partis vont s’adresser. Notre projet FNRS-FWO NotLikeUs se concentre en effet sur la question des identités de groupe, et de la manière dont les partis s’en saisissent pour se positionner mais aussi pour se distinguer des autres, voire pour polariser. Cette question des enjeux et groupes permettrait d’étayer le débat d’un éventuel réalignement autour de nouvelles lignes de fractures au sein de la société, et donc de relier ces thématiques à un champ au fond très classique de la science politique, celui des clivages, dans lequel nous avons été fortement socialisés comme chercheurs au Cevipol.

Comment voyez vous la polarisation Nord-Sud évoluer dans les résultats électoraux ? Quels enjeux cela peut-il faire peser sur la formation d’un exécutif fédéral ?

On a progressivement vu les résultats électoraux s’éloigner et les systèmes partisans s’autonomiser entre Flandre et espace francophone. On peut s’attendre à voir cette autonomisation se renforcer. Le paradoxe est que les deux systèmes sont soumis à une dynamique identique de polarisation, mais que celle-ci les pousse vers des reconfigurations radicalement différentes. Cela pèsera sur la formation du prochain exécutif. Si les partis radicaux au Nord et au Sud confirment dans les urnes, on pourrait se trouver face à une situation de blocage inédite. A minima, de longs mois de discussions seront nécessaires pour aller vers un nouvel attelage très large qui laissera à nouveau le champ de l’opposition libre aux partis radicaux. La dynamique n’est pas simple à casser.

 

Quels sont pour vous les enjeux cruciaux des élections européennes et comment pensez-vous qu’elles influenceront la scène politique belge ?

Je ne vais pas me substituer à mes collègues européanistes (rires). Je pointerais deux enjeux centraux pour une comparativiste. Le premier est celui de la mobilisation des électeurs et le niveau de participation électorale, en lien avec la question de la légitimité des élus. Le second est celui de ne pas laisser à la droite radicale le monopole de la politisation des enjeux. Les partis traditionnels semblent fort démunis face aux partis de droite radicale. Les stratégies adoptées pour les contrer les font fréquemment tomber dans le piège de l’imitation et de la surenchère. Sur ces deux enjeux, ce sont plutôt les dynamiques nationales (en ce compris belges) qui influenceraient la scène politique européenne que l’inverse.

L'entretien a été mené en mars 2024.
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Images :"Federal Parliament of Belgium" by Theedi is licensed under CC BY-NC-SA 4.0.; Licensed under CC BY-NC-SA 0.0.

Emilie van Haute

Emilie van Haute est professeure de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB), où elle occupe un mandat de Professeure de recherche Francqui (2023-2026). Ses recherches portent sur les partis politiques, la participation politique, les élections et la démocratie. Ses projets actuels sont le Political Party Database (PPDB) sur les organisations partisanes, et le projet FNRS-FWO EOS NotLikeUs sur la polarisation en Belgique. Elle est également directrice du Policy Lab de SciencePo ULB.