Depuis ses débuts, le groupe de travail Questions sociales-conflits sociaux (GT QS-CS) de l’Association belge francophone de science politique (ABSP) travaille sur la transformation de la dimension sociale des sociétés contemporaines. Dans le cadre social, historique, politique et économique des sociétés industrielles européennes du 19e siècle, le développement du social à travers la création et l’extension de multiples institutions (droit social, État social, Sécurité sociale, syndicalisme…) a permis de donner corps et âme à la démocratie, y compris dans ses formes économiques et sociales. Il convient d’étudier la signification politique des transformations sociales actuelles qui affectent tant la structure de l’État que celle des politiques publiques ainsi que les possibilités de mobilisation collective pour défendre des droits sociaux collectifs. Que devient le social lorsque sa transformation conduit à des mobilisations sociales intenses ? Quels liens existe-t-il entre dimension sociale et conflit social ? La lecture dominante sur la société et ses transformations évacue autant que faire se peut la dynamique du conflit social. Les travaux menés par le GT QS-CS ont veillé à examiner les logiques à l’œuvre pour délégitimer ou masquer la conflictualité sociale puis pour souligner les apports des mobilisations à la construction de l’État belge depuis ses origines. En ont résulté deux ouvrages publiés dans la collection « science politique » de l’ABSP : Le conflit social éludé (2008) et Se mobiliser en Belgique (2020). Les réflexions menées au sein du GT QS-CS ont suscité de nombreux autres travaux, collectifs ou individuels. Ils ont aussi suscité la création du Groupe d’analyse des conflits sociaux (GRACOS), qui publie chaque année une étude sur la conflictualité sociale qui a marqué l’année écoulée.
Comment se décline aujourd’hui le conflit autour de la revendication et de la recherche de l’égalité sociale ? Comment se transforme le social (et ses multiples institutions) dès lors que l’essence égalitaire du projet de société se transforme en autre chose (égalité des chances, promotion de la diversité et du communautarisme, organisation de la reconnaissance des groupes et des individus sur la base de leurs « capacités »…) ? Pourquoi le social devient-il subitement « actif » et quel est dès lors le contenu de ce « nouvel État social actif » qui a marqué le début du 21e siècle ? Comment les transformations sociales s’articulent-elles aux évolutions de la politique partisane et à la « crise de représentation » que vivent les sociétés démocratiques ? Comment se tissent les liens entre les nouvelles revendications sociales qui se sont multipliées dans les années 2010 (mouvements pour le climat, mouvements des Indignés, revendications féministes, gilets jaunes, etc.) et les organisations syndicales ou partisanes ? Quels sont les rapports établis entre les nouvelles organisations partisanes, souvent caractérisées par une approche verticale et digitale de l’activité politique, et les formes, traditionnelles et nouvelles, du conflit social ? Les partis peuvent-ils encore jouer le rôle de caisse de résonnance des conflits qui traversent la société ?
D’autres questions sont aussi considérées par le GT QS-CS. Quelle place et quel rôle le discours politique, scientifique et médiatique attribuent-t-ils à la dimension conflictuelle des rapports sociaux ? Quelles grilles de lectures concurrentes à la thématique du conflit sont mobilisées pour rendre compte de la construction et de la reproduction des inégalités sociales ? Dans quelle mesure ces différentes grilles d’interprétation du social sont-elles réinvesties par les acteurs pour donner sens à leurs propres rapports sociaux ?
Le GT QS-CS entend aussi réfléchir aux dimensions juridiques des problématiques qu’il aborde. Au 19e siècle, le droit social est clairement né en conflit avec le paradigme dominant de la responsabilité individuelle, qui est le cœur du droit civil, et il a proclamé la nécessité d’une nouvelle grille de lecture : le contrat de travail n’est pas un contrat civil entre personnes égales mais un contrat qui organise une relation inégale. La mise à nu de l’inégalité sociale est au fondement du droit social. Quel est l’avenir du droit social et des droits sociaux dès lors que cette inégalité n’est plus assumée en tant que conflit sociétal mais en termes d’inadaptation de populations-cibles aux nouvelles nécessités de l’économie ?
Tout travail de retour sur l’histoire et ses conflits pour faire naître et reconnaître l’égalité sociale est également bienvenu, de même que les travaux analysant des situations hors d’Europe. Le groupe de travail aura un souci égal pour réfléchir sur l’étude descriptive (études de terrain), théorique (études des grilles de lecture théoriques existantes) et méthodologique (confrontation et discussion de diverses méthodes d’analyse). Son principal objectif est de créer une communauté de travail scientifique de réflexion et de débat sur la/les question(s) sociale(s) contemporaine(s).
Ce groupe de travail s’est constitué en 2006. Il a connu quatre phases de travaux depuis lors.
La première phase s’est étalée sur deux ans. Après quelques premières prises de contact, le groupe s’est engagé dans l’écriture d’articles collectifs. Ce travail commun a abouti à la publication d’un ouvrage au début de l’année 2008 : Le conflit social éludé.
La seconde phase s’est déroulée pendant l’année 2009. Nous nous sommes concentrés sur la question de l’entrecroisement des rapports de pouvoir, question qui était restée en suspens pendant la première partie de nos travaux. Cela a ainsi débouché sur deux séminaires de lecture internes au groupe de travail, en juin et en octobre. Cette deuxième phase s’est clôturée par un séminaire de recherche organisé le 3 décembre, conjointement avec le groupe de travail Genre et politique de l’ABSP-CF.
Une troisième phase s’est ouverte début 2010 avec la préparation des travaux pour le 4e Congrès international des Associations francophones de Science politique. Le groupe a mis en place en avril 2011 un atelier thématique au Congrès intitulé : « Les salariés après 30 ans de ’réformes sociales’ : plus nombreux mais plus faibles ? ».
Une quatrième phase a commencé en 2012 avec la volonté de mener en parallèle trois programmes de recherche. Le premier programme porte sur l’analyse des conflits syndicaux remarquables en Belgique sur une base chronologique annuelle. Pour ce faire, des membres de QS-CS ont rejoint des chercheurs d’autres disciplines à travers un collectif de travail interuniversitaire ad hoc dénommé « Yanis GRACOS ». Il s’inscrit dans une volonté d’étude plus générale sur la transformation du syndicalisme. Le deuxième programme étudient les effets de la politique socio-économique européenne sur l’ordre légal interne des États. Pour ce faire deux panels thématiques ont été présentés lors du 5ème Congrès international du réseau francophone des Associations de science politique qui s’est tenu à Luxembourg les 24, 25 et 26 avril 2013 :
-L’urgence de l’austérité : quels effets sur les règles démocratiques en Amérique du Nord et en Europe ? panel_15.
Ce thème et une partie des communications ont été publiées dans la revue en ligne Interventions économiques ;
-Européanisation et inertie des politiques sociales nationales panel_16.
Le troisième programme débute en 2013 et a comme objectif la préparation collective d’un ouvrage de réflexion sur l’état de la contestation sociale en Belgique. Le congrès de l’ABSP en 2014 et le congrès du réseau international francophone de 2015 à Lausanne seront deux étapes importantes dans la préparation de cet ouvrage.