Mon parcours est un peu atypique car je ne suis arrivée aux sciences politiques qu’en master. J'ai étudié la traduction et l'interprétation - anglais et espagnol - à l'université Ca’ Foscari de Venise. Si l'interprétation consécutive me plaisait beaucoup, le contenu des textes que nous interprétions m'intéressait davantage. Il s'agissait souvent de discours officiels de personnalités politiques internationales, comme le secrétaire général de l'ONU (Kofi Annan à l'époque), ou de discours de femmes et hommes politiques anglo-saxons et espagnols (je me souviens notamment du discours de Tony Blair après les attentats de Londres). J'ai donc fait une année de passerelle et j'ai commencé un master à Bologne (campus de Forli) en relations internationales et sciences diplomatiques. Mon mémoire, qui portait sur les politiques d'enseignement supérieur en France et en Italie, m'a définitivement initiée à la science politique et en particulier à l'analyse des politiques publiques.
Après ma maîtrise, j'ai effectué deux stages à l'Observatoire social européen, un petit centre de recherche sur les politiques sociales très dynamique et bien connu dans le milieu, où j'ai pu mieux comprendre le rôle de l'Union européenne en ce qui concerne les politiques sociales et éducatives. Cette expérience a ouvert la voie à mon doctorat dans le cadre d'un projet Marie Curie Initial Training Network - Eduwel (Education as welfare and welfare as education) au sein de l'Institut syndical européen à Bruxelles. Mon projet de doctorat portait sur la mise en œuvre de politiques d’activation destinées aux jeunes chômeurs et chômeuses à Bruxelles, leur dimension cognitive et leurs effets sur la dynamique de sortie du chômage. J'ai abordé des thèmes similaires lors de mon premier contrat de recherche après ma thèse, dans le cadre du projet européen NEGOTIATE à la Business School de l'Université de Brighton (UK). Avant de devenir chargée de cours en éducation des adultes, j'ai fait trois ans de postdoctorat à l’UCLouvain dans le projet ERC Qualidem guidé par Virginie Van Ingelgom (PI) et Claire Dupuy (Principal collaborateur). Depuis 2020, je suis chargée de cours en éducation des adultes dans le master en sciences de l’éducation au sein de la faculté de psychologie et sciences de l’éducation de l’UCLouvain où j’enseigne, entre autres, les politiques d’éducation des adultes. Je suis également membre du GIRSEF (Groupe interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, l’éducation et la formation). Cette nouvelle fonction m’a projetée dans l’interdisciplinarité et me permet de mobiliser des cadres théoriques et analytiques variés, qui forcent à regarder les phénomènes d’un point de vue différent.
Je vais partager quelques enseignements de deux volets de recherche qui m’ont occupé ces dernières années : l’analyse des politiques sociales et de l’emploi d’une part, et d’éducation des adultes, d’autre part.
Mes recherches doctorales et postdoctorales se sont concentrées majoritairement sur l’analyse et l’évaluation des politiques d’emploi, notamment visant les jeunes. Mes recherches ont essayé de mettre en lumière quelles étaient les représentations sous-jacentes aux politiques publiques des jeunes sans-emploi, leur implémentation ainsi que d’évaluer ces politiques à l’aune d’un cadre normatif de justice sociale (à savoir l’approche par les capabilités, d’Amartya Sen).
Ce qu'il me semble important à retenir c’est que :
1) Il est nécessaire de déconstruire et de questionner les images, les fondements normatifs et les connaissances (scientifiques) qui innervent l’action publique. En effets, ces éléments contribuent à la construction du problème à traiter par les politiques publiques ; ils jouent un rôle sur les instruments de politiques publiques mobilisés et également sur la conception et la réalisation de la liberté réelle des individus d’être et de faire ce à quoi ils et elles attribuent de la valeur.
2) Il est nécessaire de proposer des évaluations des politiques publiques qui vont au-delà des indicateurs quantitatifs susceptibles de véhiculer une image limitée et limitante du rôle de l’emploi et d’autres interventions sociales sur les trajectoires individuelles et collectives (p.ex. l’intégration sur le marché de l’emploi équivaut à une intégration sociale et économique réussie).
Ces enseignements peuvent être étendus à d’autres politiques y compris celles de formation des adultes. La vision dominante de la formation des adultes en tant qu’instrument de développement économique individuel et global obscurcit le rôle de la formation dans l’épanouissement individuel et l’émancipation collective. En effet, les politiques actuelles se basent souvent sur une vision désincarnée et hypothétique d’un·e adulte travailleur toujours désireux·euse d'apprendre et ne prennent peu ou pas en compte sa biographie et le contexte dans lequel il ou elle agit.
Les changements actuels, de l'essor de l'IA au défi climatique combinés à l’accélération d’un monde globalisé, nécessitent des personnes capables de penser et d'agir différemment. Le changement au niveau individuel peut se faire par la modification des croyances et des actions de chacun·e. Changer ses actions, repenser son propre rôle et son poids dans la société passe aussi par la formation, l'apprentissage formel (par exemple à l'université ou dans le cadre de l’éducation de promotion sociale) et l'apprentissage informel (par exemple ce que l'on apprend auprès de pairs plus expérimentés ou dans le cadre de la dynamique de travail).
C'est pourquoi il me semble essentiel de mieux comprendre comment les politiques publiques conçoivent la formation et son rôle au niveau individuel et collectif, comment elles favorisent l'apprentissage tout au long de la vie, mais également quels outils elles mettent à disposition et comment elles sont concrètement mises en œuvre.
Le Research Handbook on Adult Education Policy, publié par Eward Elgar, et co-dirigé avec Marcella Milana, de l’Université de Vérone (IT), et Palle Rasmussen, de l’Université d’Aalborg (DK) qui sortira en juin de cette année, répond notamment à cette ambition. En effet, il fournit des analyses socio-historiques des politiques de formation dans plusieurs contextes nationaux, mais également donne des clés d’analyse pour comprendre ce domaine de politique publique qui s’insère dans les interstices des politiques d’emploi, sociales et d’éducation.
L’analyse des politiques publiques est le domaine que je préfère le plus. Comme d’autres l’ont dit avant moi, nos vies sont conditionnées par de multiples expériences de politiques publiques, de l’expérience de la petite enfance à la retraite. En comprendre les fondements, questionner les hypothèses sous-jacentes et les évaluer à la lumière de cadres de justice sociale sont des sujets de recherche qui me tiennent particulièrement à cœur.
Les échanges avec les étudiant·e·s, souvent des adultes en reprise d’études, est très enrichissant et formateur, tout comme les collaborations avec les collègues de l’UCLouvain et d’autres horizons. Donc je me vois là où je suis maintenant, un pied dans la recherche et l’autre dans l’enseignement !
L'entretien a été mené le 6 février 2024. .