La communication numérique des partis politiques belges

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Un entretien avec Lucas Kins

Pouvez-vous nous expliquer votre parcours et ce qui vous a poussé à faire de la science politique ?

J’ai décidé sur le tard d’étudier la science politique, à l’issue d’une année d’échange dans une famille conservatrice au Texas, juste après ma dernière année d’enseignement secondaire. Je pense que c’est cette expérience qui a initié un basculement de simple intérêt pour la politique de manière générale, au désir de l’étudier, surtout afin de comprendre les mécanismes qui font naître des convictions auprès des citoyen·ne·s, et les amènent à voter, s’engager voire se mobiliser pour (ou contre) l’un·e ou l’autre parti ou candidat·e.

Pouvez-vous nous synthétiser quelques enseignements de vos recherches ?

Mes recherches s’intéressent aux partis politiques de deux points de vue : organisationnel et communicationnel. D’une part, je tente d’en apprendre un peu plus sur les personnes qui entretiennent l’image du parti au quotidien par l’intermédiaire d’outils de campagne numériques, et de l’autre j’étudie les campagnes qui sont le fruit de leur travail sur les réseaux sociaux. À ce stade, le principal enseignement de mes recherches est que les partis ont des approches très variées de la communication politique numérisée, autant en interne que vers l’extérieur. C’est justement cette diversité que je tente d’étudier, en essayant de comprendre quels en sont les principaux déterminants. On distingue surtout deux pôles pour ce qui est de la propension à pleinement exploiter les dernières innovations en matière de campagne en ligne, avec d’un côté les plus enthousiastes, et de l’autre ceux qui restent réticents à l’égard de certains outils et des pratiques qui y sont associées (par exemple certaines fonctions de microciblage ou de collecte de données personnelles auprès du public). Bien évidemment tous les partis ont aujourd’hui adopté ces outils, mais des disparités importantes subsistent quant à leur degré d’exploitation.

D’un côté, les partis qualifiés d’extrêmes ou de populistes (de gauche comme de droite) semblent opter pour une stratégie « jusqu'au-boutiste », et tirer profit des nombreux avantages du numérique pour leurs campagnes (c’est aussi le cas de la N-VA), là où les partis traditionnels (de pilier) et les verts sont souvent plus réticents à tirer pleinement parti de certaines fonctionnalités offertes par les campagnes numérisées, surtout côté francophone. La question des ressources joue également un rôle important, les partis les plus petits et les moins dotés étant souvent contraints de limiter leur palette d’outils, là où les « plus gros » peuvent se permettre de tester de nouveaux outils, de recruter certains profils, ou d’investir un nombre plus important de canaux en espérant s’accaparer le peu d’attention qu’allouent la majorité des électeur·rice·s aux contenus produits par les politiques. Pour ce qui est du succès de ces différentes stratégies, les points de vue divergent, et malgré la vigueur des débats qui entourent l’utilisation d’Internet et ses innombrables outils dérivés par les politiques, il s’avère difficile de trancher. Dans un article publié avec ma collègue Pauline Claessens (ULB) sur l’activité des parlementaires belges, nous démontrons par exemple que ce sont les partis « traditionnels » (Open VLD et CD&V en tête côté flamand, PS et MR côté francophone), qui dénombrent le plus de parlementaires actif·ve·s et suivi·e·s sur les principales plateformes (Facebook, X, Instagram), là où les partis les plus centralisés concentrent toute l’attention autour de quelques personnalités (PTB, VB et DéFI), président·e·s en tête. Une « bonne » maitrise des outils numériques n’est donc qu’un facteur d’adhésion parmi d’autres pour les partis.

Nous sommes actuellement en période pré-électorale. Y a-t-il un enjeu en particulier de cette campagne que vous souhaiteriez développer/commenter que vos recherches pourraient éclairer ?

Pour le moment, les partis et leurs président·e·s tentent surtout de se profiler sur les enjeux sur lesquels ils souhaitent axer leur campagne, souvent ceux desquels ils sont « propriétaires », ou ceux qu’ils souhaitent éventuellement subtiliser à leurs adversaires. On peut citer à titre d’exemple les attaques répétées du PS envers les grandes fortunes dans un registre qui fait écho à celui du PTB. Alternativement, d’autres partis mettent surtout en avant leurs candidat·e·s sur les différentes listes, comme le parti Les Engagé·e·s qui mise beaucoup sur ses nouvelles recrues. Etant donné que la période de prudence a commencé, les dépenses en contenus sponsorisés ont explosé en amont de la date butoir, surtout au nord du pays, avant de connaitre une chute vertigineuse dès le 10 février.

Comment voyez vous la polarisation Nord Sud évoluer dans les résultats électoraux ? Quels enjeux cela peut-il faire peser sur la formation d’un exécutif fédéral ?

Difficile à dire. La route vers le 9 juin est encore (relativement) longue, même si les tendances dans les sondages ces dernières années, couplées aux résultats électoraux ailleurs en Europe laissent présager une nouvelle percée du VB en Flandre, et du PTB en Belgique francophone, ce qui rendra la formation d’un exécutif fédéral très complexe. Cette formation dépendra donc surtout de l’ampleur de la victoire de ces deux partis.

Pourtant sur base de nos recherches et de celles d’autres collègues, les enjeux importants pour les électeur·rice·s sont plutôt semblables au nord et au sud du pays, et l’enjeu communautaire n’a d’ailleurs pas été central dans la communication des partis avant la campagne, si ce n’est pour la N-VA qui a continuellement attaqué la Vivaldi tout au long de la législature en mettant en avant sa solution confédéraliste. Même le VB a surtout axé sa campagne « permanente » sur l’immigration, le pouvoir d’achat (et la mauvaise gestion financière des partis au pouvoir), ou encore la criminalité. Sur l’ensemble des publications du parti sur X (où le parti est très actif), l’enjeu communautaire représente moins de 10% des publications. Cela ne veut pas dire pour autant que le VB a fait passer cet enjeu à la trappe. Il s’agit selon moi surtout d’inscrire le parti dans les discours dominants qui ont fait les succès des partis d’extrême-droite ailleurs en Europe (immigration, antiélitisme, etc.), afin d’assurer son succès dans les urnes. Succès qui, rappelons-le, est largement à sa portée si l’on se fie aux tendances actuelles, même si rien n’est encore joué. Les ennemis sont dans tous les cas clairement désignés pour tous les partis, comme on peut aisément l’observer sur X par exemple: le MR en a surtout après la gauche (et ses « 50 nuances »), le PS après « toutes les droites », et le VB après à peu près tout le monde. Au sein même des coalitions à différents niveaux, les partenaires n’ont pas hésité à exposer leurs désaccords tout au long de la législature, ce qui semble d’autant plus compliquer la donne.

L'entretien a été mené en mars 2024.

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