La démocratie aux prises avec la polarisation

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Un entretien avec Benjamin Biard

 

Pouvez-vous nous expliquer votre parcours et ce qui vous a poussé à faire de la science politique ?

J’ai entamé un cursus en sciences politiques au sein des Facultés universitaires catholiques de Mons (FUCaM) – qui ont fusionné avec l’UCLouvain en septembre 2011 – avant de poursuivre par un master puis un doctorat en sciences politiques sur ce même campus. Il me semblait important de tenter de mieux comprendre la société contemporaine ainsi que ses mutations et ses tensions à partir de grilles de lecture scientifiques. Dès le master, mon intérêt s’est porté sur l’étude d’acteurs politiques défendant une idéologie réputée mettre la démocratie sous tension : l’extrême droite. Assez naturellement, compte tenu de l’actualité politique nationale et internationale, j’ai poursuivi mes investigations sur ce sujet de recherche dans le cadre de mon travail doctoral, supervisé par les professeurs Nathalie Schiffino et Min Reuchamps. Plus précisément, j’ai entrepris d’évaluer l’influence exercée par les partis relevant de cette mouvance idéologique sur les politiques publiques dans une perspective comparée (Belgique, France, Suisse). À l’issue de ce parcours doctoral, j’ai intégré l’équipe du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP). Fondé en 1958, cet organisme indépendant a pour objet l’étude de la décision politique en Belgique et dans le cadre européen. Depuis lors, je continue à aiguiser mon expertise sur l’extrémisme de droite mais j’élargis également mes recherches à d’autres objets, comme la vie politique wallonne. En parallèle, j’enseigne la science politique à l’Université catholique de Louvain (site de Mons) et à l’Université de Namur.

Quels sont vos principaux centres d’intérêt scientifiques ?

Mes recherches sont orientées autour de plusieurs axes. L’un d’entre eux concerne l’étude de l’extrême droite ; j’y reviendrai un peu plus tard. Un autre porte sur les partis frères en Belgique. Cela fait plusieurs années que je questionne cette notion en investiguant – à partir d’archives mais aussi de très nombreux entretiens – ce que traduit encore aujourd’hui cette notion, en termes idéologiques, organisationnels ou encore institutionnels. Concrètement, j’y mets en exergue des évolutions fort contrastées selon les partis à l’étude.

 

Ainsi, il ressort clairement que c’est au sein de la famille socialiste que les relations entre partis francophone et flamand sont les plus intenses. À l’inverse, c’est au sein de la famille de tradition sociale-chrétienne qu’elles sont aujourd’hui les moins évidentes. L’appartenance à cette dernière du parti Les Engagés (LE), qui a succédé au CDH, ne fait d’ailleurs plus l’unanimité. Ces dernières années, je me suis aussi intéressé à d’autres thèmes directement reliés à l’actualité politique, souvent en collaboration avec des collègues du CRISP : le système de libération conditionnelle en Belgique et ses évolutions, les mobilisations de la société civile dans le cadre de la crise sanitaire de Covid-19 ou encore la commission d’enquête parlementaire qui a vu le jour au sein du Parlement wallon après les inondations meurtrières de 2021.

Nous sommes actuellement en période préélectorale, y a-t-il un enjeu en particulier de cette campagne que vous souhaiteriez commenter/que vos recherches pourraient éclairer ?

Un pan important de mes recherches est consacré à l’étude des mouvements et partis d’extrême droite. Il y a quelques semaines, j’ai d’ailleurs consacré un double numéro du Courrier hebdomadaire du CRISP à l’étude du nouveau parti Chez Nous, qui tente d’émerger en Wallonie. Celle-ci offre un panorama à 360 degrés de ce parti, en questionnant ses origines, son développement, son idéologie, ses réseaux mais aussi les tensions qu’il connait et les différentes formes de résistance qu’il rencontre. Ces derniers aspects sont importants à analyser puisqu’ils permettent de mieux comprendre les difficultés que rencontrent les partis politiques relevant de cette mouvance idéologique en Wallonie et d’expliquer la situation contrastée que connaît l’extrême droite en Belgique. Spécifiquement, la vivacité du mouvement antifasciste en Wallonie et le strict maintien du cordon sanitaire médiatique en Belgique francophone compliquent la tâche des militants et candidats d’extrême droite.

Du côté flamand, la dynamique est tout autre. La plupart des sondages réalisés depuis 2019 placent en effet le Vlaams Belang en tête des intentions de vote. Plus que jamais, ce scrutin soulève la question du maintien du cordon sanitaire politique – auquel j’ai aussi consacré une série de publications – au lendemain des élections régionales et communautaires et, plus encore, au lendemain des élections communales qui suivront, un peu plus de quatre mois plus tard.

Comment voyez-vous la polarisation Nord-Sud évoluer dans les résultats électoraux ? Quels enjeux cela peut-il faire peser sur la formation d’un exécutif fédéral ?  

Même si les sondages n’ont jamais valeur prédictive et doivent toujours être analysés avec précaution, ils permettent toutefois de penser que la polarisation risque de s’accentuer à l’issue du scrutin du 9 juin. Les partis dits traditionnels semblent pour la plupart être en difficulté et des formations aux accents radicaux se démarquent particulièrement. En Flandre, ce sont deux partis indépendantistes qui caracolent en tête des sondages : le Vlaams Belang et la N-VA. En Belgique francophone, le parti qui a sans doute le plus le vent en poupe est le Parti du Travail de Belgique (PTB) – qui, rappelons-le, est organisé sur une base nationale et qui progresse également en Flandre. Il me semble impensable que le VB et le PTB participent au prochain gouvernement fédéral. Par conséquent, il sera nécessaire de rassembler un grand nombre d’acteurs autour de la table après les élections, particulièrement dans la perspective d’une septième réforme de l’État ; il ne sera en effet pas aisé d’atteindre les majorités renforcées requises pour modifier la Constitution et/ou une loi spéciale. D’ailleurs, j’anticipe qu’il ne sera pas aisé de former une majorité tout court.

Quels sont pour vous les enjeux cruciaux des élections européennes ? Comment pensez-vous qu’elles influenceront la scène politique belge ?

Les élections européennes sont classiquement considérées comme des élections de second ordre. Cela est certainement dommage tant les décisions qui y sont adoptées ont un impact sur la vie quotidienne des citoyens au sein de l’ensemble de l’Union européenne. Les récentes mobilisations d’agriculteurs à travers l’Europe nous l’ont d’ailleurs rappelé et ne manqueront sans doute pas d’influencer les débats concernant ce niveau de pouvoir.

L'entretien a été mené en mars 2024.

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