Entretien avec Rajae Maouane, Co-Présidente d’Ecolo

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Un entretien avec Rajae Maouane  

Quelle est votre vision de la science politique ? Quel rôle sociétal devrait selon vous jouer la science politique dans la Belgique contemporaine ? 

L’écologie politique s’appuie sur une vision systémique, à savoir une approche « qui prend en compte les éléments d’un système complexe, les faits réels, non pas pris isolément mais globalement, en tant que parties intégrantes d’un ensemble dont les différents composants sont dans une relation d’interdépendance ». Il n’est pas possible de comprendre le monde contemporain, ses actions et ses interactions sans cette approche. Dès lors, l’approche via les sciences humaines est primordiale. L’histoire, la sociologie, la psychologie, les sciences sociales et politiques sont fondamentales. Nous considérons dès lors que ces sciences et leurs utilisations doivent être valorisées, pour rendre nos sociétés plus explicites à la fois pour les décideur.euse.s et pour les populations.

Plus concrètement, la science politique est un outil essentiel pour comprendre les mécanismes de fonctionnement des pouvoirs publics, mais aussi des comportements électoraux. Les décideurs politiques doivent s'appuyer sur ses enseignements pour orienter la conduite des institutions vers la réalisation des attentes des citoyens et citoyennes, dans la poursuite de l'intérêt général. La science politique permet également d'éclairer l'action publique aux yeux des citoyens et citoyennes, par rapport aux enjeux sociaux et environnementaux notamment, et donc de favoriser leur engagement démocratique.

Son rôle sociétal est donc majeur, en particulier dans un contexte institutionnel particulièrement complexe.

Vous avez réalisé des études en communication. Dans quelle mesure cette formation influence-t-elle l'exercice de vos fonctions actuelles ? 

Mes études en communication m'aident beaucoup dans l'exercice de mes fonctions. En effet, cette formation m'aide à comprendre au mieux les différentes interactions qui nous entourent. Elle est nécessaire pour être au plus proche au contact des citoyens et citoyennes, leur expliquer les coulisses, rappeler le pourquoi de nos décisions. Mais aussi pour diffuser nos valeurs et notre ADN ​​.

 

Que pensez-vous des sciences humaines à l'aube de 2024 ?

Nous constatons cependant, avec beaucoup de craintes, que les sciences humaines font aujourd’hui l’objet de beaucoup de discrédits voire de mépris de la part de certains acteurs. La marchandisation du monde s’applique de plus en plus au secteur éducatif. Les sciences humaines sont aussi impactées, considérées comme des variables d’ajustement budgétaires ou faisant l’objet d’investissements moindres, les « sciences dures » étant considérées comme plus intéressantes économiquement. En outre, les sciences humaines font l’objet aujourd’hui d’un discrédit de la part d’acteurs populistes et extrémistes qui jouent sur un anti-intellectualisme dangereux pour nos sociétés démocratiques. C’est en ce sens que pour nous, écologistes, la défense et la valorisation des sciences humaines, de leur apprentissage à leur promotion en passant par l’apport qu’elle représente pour nos sociétés, doit être âprement défendu.

Face à des enjeux comme la montée des extrémismes et des populismes, la crise écologique ou la montée des inégalités sociales, les sciences humaines revêtent une importance renouvelée dans nos sociétés. Parce qu'elles permettent de mieux comprendre ces phénomènes et les dynamiques qui les sous-tendent, les différentes branches des sciences humains doivent continuer à co-évoluer et la recherche interdisciplinaire doit être encouragée.

La science politique a-t-elle contribué aux développements et aux évolutions d'Ecolo ces dernières années ?

La science politique a joué un rôle important dans l'évolution d'Ecolo. Pour éviter de reproduire les travers des partis politiques traditionnels, Ecolo a toujours souhaité faire de la politique autrement. En analysant les tendances politiques, les comportements électoraux et les dynamiques sociales, la science politique nous aide à identifier les enjeux prioritaires, à mieux comprendre notre électorat et à adapter nos stratégies en conséquence. Elle nous permet aussi de définir quelles sont les mesures les plus adaptées à la résolution des défis de notre temps, d'évaluer l'impact de notre action et de réfléchir à de nouvelles approches pour promouvoir nos idées et valeurs écologistes. Nous avons ainsi, dans nos diverses publications et activités, régulièrement mis en évidence les productions issues des sciences politiques (par exemple pour notre revue Créons demain ou dans le cadre de conférences et animations organisées par nos services).

Les interventions de divers spécialistes, de politologues, les méthodologies issues des sciences politiques, les analyses à moyen et à long terme des évolutions de nos sociétés, ne sont pas que des outils utilisés pour nos propres constructions de positionnements politiques. Ce sont aussi des outils d’éducation à la politique que nous voulons valoriser auprès de nos militants mais aussi du grand public.

Le monde de la recherche reste un univers particulièrement masculin, la science politique ne faisant pas exception à ce constat. De quelle manière pourrions-nous aboutir à une féminisation accrue de la recherche ? 

Les politiques en faveur de plus d’inclusion doivent se faire via des soutiens actifs au renouvellement du monde de l’enseignement et de la recherche. Les moyens nécessaires doivent être alloués que ce soit dans les fonds octroyés pour les bourses de recherches, la qualité de l’enseignement (en ce compris les bâtiments) mais aussi dans l’ouverture de recherches portant sur le genre, la diversité, les minorités, les approches transversales, etc. Nous pensons aussi que la valorisation de professeures et chercheuses doit être poursuivie, afin d’encourager la féminisation de la recherche, de même que l’inclusion des minorités diverses qui composent notre société. C’est un combat à porter en alliance avec le monde de l’enseignement ainsi qu’avec le monde associatif et les diverses collectivités qui mettent la lumière sur ces enjeux.

L'entretien a été mené en février 2024. .
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