Entretien avec Maxime Prévot, président des Engagés et bourgmestre de la ville de Namur

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Un entretien avec Maxime Prévot.

Quelle est votre vision de la science politique? Quel rôle sociétal devrait selon vous jouer la science politique dans la Belgique contemporaine?

Maxime Prévot: C’est déjà une question très différente de quel rôle devrait jouer la politique… Pour avoir moi-même fait des études de science politique, il m'est arrivé de me dire que finalement, cette formation avait comme avantage d’être suffisamment généraliste que pour pouvoir éveiller à tout, et d'avoir le gros tort d’être trop généraliste, et donc de ne se spécialiser en rien. Il est d’ailleurs rare de voir une offre d'emploi disant "nous recherchons spécifiquement un politologue". Celles et ceux qui souhaitent vraiment être politologues doivent en général choisir entre soit une carrière académique ou soit une carrière journalistique. 

Il y a peu de cas de figure pour lesquels le fait d'être politologue est requis. Cependant, l'avantage d’une formation en sciences politiques est que c’est une formation qui est suffisamment universaliste que pour pouvoir ouvrir sur tout. Il y a en outre la branche académique qui vise à éclairer sur la manière dont on fait société, la manière dont on construit la société, ou encore la manière dont celle-ci régule elle-même les enjeux nouveaux auxquels elle est parfois confrontée. On ne parlait pas à l'époque de transition écologique ni de révolution numérique. Tout ça, ce sont des éléments qui se sont imposés à l'agenda et qui ont eu comme corollaire des adaptations sociétales majeures. Les crises elles-mêmes sont de sacrés coups de pied aux fesses pour pouvoir finalement provoquer des changements, et souvent d'ailleurs, les accélérer. 

Rien que la manière dont aujourd'hui nous conversons [l’entretien se déroule à distance], c'est probablement quelque chose qu’on n’aurait pas envisagé il y a trois ou quatre ans. Le télétravail et la manière dont les organisations du travail se sont réglées depuis la crise du COVID ont aussi été des accélérateurs extraordinaires. On parlait peu du télétravail à l'époque. Aujourd'hui, ça s'est généralisé partout. C'est même parfois une exigence dans les entretiens d'embauche, ce qui est assez fou. Quand on voit déjà aujourd'hui la manière dont les citoyens intègrent l'enjeu de sobriété énergétique, ou le fait d’être beaucoup plus attentif qu'avant à leur consommation propre, tout cela nous montre bien aussi que la crise énergétique a agi comme un catalyseur. 

Télétravail pour le personnel de l'Ecole polytechnique pendant le confinement

Il y a donc cette analyse sociétale, qui n'est pas que l'apanage du sociologue, et qui est celle au contraire d'un politologue, puisque ce ne sont pas que les interactions humaines qui sont à analyser: il faut aussi y inclure les rapports de force. Il y a également tous les enjeux liés à la manière de faire décision, surtout dans un pays aussi politiquement fragmenté que le nôtre: qu'il faille en arriver à réunir au minimum sept partis pour pouvoir faire une majorité dans un parlement, c'est illustratif d'une balkanisation de notre paysage politique. Il y a un grand nombre d'interactions qu’il faut pouvoir analyser, d’où l’apport du politologue. 

Ensuite, si je quitte le champ purement du parcours académique, l'apport du politologue, c'est-à-dire de l'étudiant diplômé en sciences politiques, peut se trouver dans ses sources d'influences professionnelles qui lui permettent de faire une analyse plurifactorielle. Pour caricaturer mon propos, on serait tenté de penser que certains ingénieurs vont regarder sous un seul angle un problème: sous l'angle technique, mécanique ou encore physique. On a nous l'habitude, en tant que politologue, de regarder un même problème avec plusieurs paires de lunettes afin de pouvoir les changer plus facilement pour essayer d'appréhender plus facilement et plus subtilement la diversité des opinions et des points de vue. C'est selon moi un réel apport des personnes formées en sciences politiques plus que de la science politique en soi.

Vous avez réalisé des études de sciences politiques. Dans quelle mesure cette formation influence-t-elle l'exercice de vos fonctions actuelles?

Maxime Prévot: Marginale! Il est évident que si on devait effectuer des statistiques, il y aurait certainement un grand nombre parmi les hommes et femmes politiques qui ont fait science politique. Mais il y a un encore plus grand nombre de personnes qui ont fait le droit. Comme j'ai toujours dit autour de moi, les études de science politique, ce n'est pas apprendre à devenir politicien. Beaucoup ignorent ce qu’est le champ de la science politique, beaucoup pensent que ça se résume à faire l’école des politiciens. Je dis toujours que c'est une école qui nous apprend à comprendre la vie en société, le monde politique et ses interactions. On devient des analystes, pas toujours des acteurs. Tous les acteurs de la politique ne sont pas passés par un bagage de science politique au préalable. 

Manifestation contre le 'Sommet des affameurs' - Protest against the 'starvers' summit'

Moi-même, au départ, je n'avais pas prévu de faire science politique, je voulais faire officier de gendarmerie. Les circonstances de la vie m'ont amené à finalement suivre ce cursus et faire une spécialisation en droit des technologies dans la foulée. Il y a des gens qui adorent le football, qui ne vont pas être vraiment d'excellents joueurs, mais qui vont être de super supporters ou de grands commentateurs et observateurs. On a besoin aussi parmi ceux qui suivent la filière de science politique d'observateurs, de commentateurs, de supporters, mais tous ne vont pas nécessairement se sentir l'âme de se jeter dans la "fosse à lions" et dans l'arène politique. 

C'est plus une question de tempérament des uns et des autres, que de bagages académiques à proprement parler. Ce qui explique d'ailleurs qu'il y a tant de gens dans les assemblées qui ne sont pas du tout issus de la science politique, mais qui ont simplement des personnalités qui les ont amené à s'intéresser à la politique et à s’y engager.  

Que pensez-vous des sciences humaines à l'aube de 2023?

Maxime Prévot: Le sentiment que j'ai quand je regarde la palette des formations académiques actuelles c'est que la valorisation des cursus universitaires est surtout orientée sur ce qui a une connotation technique, mécanique ou physique. Je suis néanmoins conscient que ce sentiment est peut-être biaisé. Même s'il reste évidemment des filières indétrônables de prestige telles que le sont la médecine ou même le droit, à côté de ça on a un effondrement d'une série de sciences humaines, surtout en philo et lettres. 

On est d'une génération, en tout cas moi certainement, qui a grandi avec des parents qui incitaient à faire des études supérieures parce qu’au plus on avait un grand diplôme, au mieux c'était. Il faut reconnaître qu'aujourd'hui, les parents qui ont mon âge ont tendance à moins dévaloriser les formations qualifiantes. Il n’y a plus de gêne aujourd'hui à dire "mon gamin est en train de faire électromécanicien", parce qu’on sait très bien qu'en faisant électromécanicien, il gagnera mieux sa vie et trouvera plus vite un job que quelqu'un qui sort en ayant fait philo romane, car il faut vraiment trouver les cursus spéciaux pour avoir effectivement un job dans ces matières. 

La science politique, dans une analyse clinique froide, n’est pas non plus la formation universitaire qui est la plus "bancable". Ce n’est pas celle qui, aux yeux des autres universitaires, est perçue comme étant la plus forte sur le podium à valoriser. Comme dit précédemment : elle mène à tout et à rien en même temps. Ce flou de prédestinations de celles et ceux qui sont formés à la science politique n'entraîne pas aux yeux du grand public une compréhension et une valorisation suffisante de la science politique. On avait tendance à considérer parfois que les études de communication et de science politique étaient plutôt des créneaux qui étaient plus éloignés du podium que sur celui-ci dans les cursus universitaires. 

File:Institut d'études politiques de Lille chantier - Sciences-Po Lille - Juin 2015 Lamiot 02

C'est un peu rude mais c'est hélas une part du ressenti des gens. Je pense qu'il y a un grand travail à devoir faire sur la pédagogie de ce qu'est la science politique pour montrer sa grande utilité. On vit dans une période matérialiste extrême, avec un retour des nouvelles générations vers des valeurs qui prônent ce besoin de retrouver quelque chose qui donne du sens et qui valorise plus les liens que les biens, en offrant probablement de plus beau jour à l'avenir qu'on en a eu jusqu'à présent pour les sciences humaines. Par exemple, c’est l'inverse, avec une toute autre approche, en France, où si vous faites science politique, ce sont de grandes écoles où vous êtes amené à devoir occuper une fonction de cadre d'élite dans l'administration, voire dans le champ politique. 

La science politique a-t-elle contribué au renouvellement du parti dans sa mutation pour devenir Les Engagés?

Maxime Prévot: Honnêtement, je dirais que c'est plus la science électorale qui y a contribué. Si on considère que la science électorale est une science politique, alors oui, la science politique par transitivité de l'égalité comme dirait mon professeur de math, y a contribué.  Je pense que nous avons tous été, à notre échelle, des analystes du contexte politique dans lequel le parti évoluait avec ses résultats et ses aspirations. Je suis parti sur l'idée qu'on ne peut pas dire sans cesse durant une campagne électorale qu'il faut tenir compte du signal des électeurs, cette petite phrase qu'on entend sans cesse mais qu'on oublie aussitôt le soir du scrutin, puisque là c'est l'école des fans. Tout le monde pense avoir gagné, même ceux qui ont perdu disent qu'ils ont gagné, parce que finalement, ils ont moins perdu que ce qu'on avait annoncé. 

J'ai voulu dire à un moment donné, stop, si on veut retrouver un peu d'intégrité en politique, si on veut que les gens recommencent à nouveau à refaire confiance aux hommes politiques, il faut aussi être lucide, nous avions perdu les élections. Je ne suis pas en train de dire que parce qu’on les a perdus, c'était légitime qu'on les perde. Je trouve que la sanction qu'on a subie était très lourde par rapport à ce qu'on aurait mérité, mais il n'en demeure pas moins qu'il y a deux manières de réagir dans ce cas de figure. Premièrement, on peut être persuadé qu'on continue d'être les meilleurs en délivrant un super message, en considérant que les électeurs comme des imbéciles. A ce moment-là, on est sûr de se trouver dans une cabine téléphonique dix ans plus tard, pétri de certitude. Deuxièmement, on peut avoir la conviction qu’il n’y a pas eu d'adhésion citoyenne et qu’au final le message qu'on délivre n'est plus celui qui répond aux aspirations des citoyens et qu’il ne crée plus suffisamment d'adhésion de leur part. 

Il faut pouvoir alors rabattre les cartes du message, se remettre en question. C'est ce que j'ai souhaité faire avec l'opération "il fera beau demain", en posant plusieurs questions, en acceptant de quitter notre zone de confort pour débattre de tout sans tabou,  en tentant de prendre nouveaux tournants par rapport aux enjeux contemporains. : s’il y a tant de désespoirs, comment recréer de la lumière? Comment faire en sorte que les gens se remettent en mouvement? Comment faire en sorte que l’on dissipe les orages et qu'ils fassent à nouveau beau demain? 

VOLER AU SOLEIL COUCHANT!!!!!!!!!!!!

Je suis convaincu que les partis politiques traditionnels sont un modèle épuisé beaucoup trop vertical. Il faut de l'horizontalité, d’où ce basculement d'un parti vers un mouvement qui n'est pas qu'un enjeu sémantique à mes yeux puisqu’il s'est matérialisé aussi dans nos statuts. Il y avait cette volonté d'être beaucoup plus horizontal dans les prises de décision et donc d'irriguer le mouvement depuis le terrain beaucoup plus largement qu'avant et ne pas réserver ça à la caste des parlementaires. 

D'autre part, je pense que les partis politiques sont devenus des défenseurs d'un héritage et d'une doctrine façonnée il y a 50, 60, 70 ans, plus que réellement des porteurs d'un espoir contemporain. Or, dans toutes nos doctrines, quels que soient les partis politiques, quand elles ont été façonnées dans les années 50, voire même avant. On ne parlait pas de révolution digitale, de défi environnemental ou encore de réorganisation du monde du travail. Tout ça doit être maintenant intégré dans un projet beaucoup plus contemporain qui donne espoir plutôt qu'il ne surfe sur les peurs comme les extrêmes s'y emploient. 

Le monde de la recherche reste un univers particulièrement masculin, la science politique ne faisant pas exception à ce constat. De quelle manière pourrions-nous aboutir à une féminisation accrue de la recherche?

Maxime Prévot: Le fait qu'il y ait proportionnellement moins d'étudiantes en science politique que d'étudiants est aussi probablement le reflet qu'il y a moins de femmes que d’hommes en politique tout court.  Par exemple, pour les études de psycho, philo et lettre, sociologie, c'est l’inverse puisqu’il y a beaucoup plus de femmes. 

Meeting of the North Atlantic Council at the level of Heads of State and Government

Je pense que les études ne doivent pas être genrées, on a besoin comme de pain que plus de femmes s’investissent dans toutes les nouvelles technologies, en informatique, et dans les métiers plus mécaniques. Je pense que ça va être une progression sociétale qui va être certaine mais qui reste probablement encore trop lente. 

A-t-on une recette miracle pour ouvrir ce parcours vers les femmes plus que vers les hommes? Je n’en suis pas certain. Je pense que c'est quelque chose qui va être progressif. Je pourrais vous dire qu’il faudrait faire une campagne de sensibilisation et cetera, mais je n’ai pas le sentiment que ça pourrait produire des résultats concrets. Je crois qu'il faut d'abord mieux expliquer ce qu’est la science politique. Il faut la démystifier. Il y a encore beaucoup trop de gens curieux de la manière dont le monde fonctionne sans avoir nécessairement l'envie de faire de la politique. Il faut expliquer que c'est la science politique, ce n'est pas une usine à politiciens. 

L'entretien a été réalisé le 23 janvier 2023.

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Maxime Prévot est président du parti Les Engagés et bourgmestre de la ville de Namur.

 

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L’entretien a été réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du Parlement de Wallonie.

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