Les partis politiques comme objets de recherche mouvants

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Un entretien avec Caroline Close

Pouvez-vous nous expliquer votre parcours et ce qui vous a poussé à faire de la science politique ?

J’ai commencé un bachelier en science politique à l’ULB en 2005. J’y suis toujours aujourd’hui (rires). J’ai réalisé une thèse de doctorat au Cevipol de 2010 à 2014, sous la direction d’Emilie van Haute, puis un post-doc FNRS au Cevipol de 2015 à 2018 – au cours duquel j’ai réalisé des séjours de recherche à Ottawa au Canada (Carleton University) et à Sydney en Australie (University of Sydney). Depuis 2019, je suis Chargée de cours en science politique à l’ULB, avec cette particularité que l’ensemble de mes cours sont dispensés à Charleroi, dans le bachelier en sciences humaines et sociales organisé conjointement par l’ULB et l’UMons. Une expérience d’enseignement unique : des petites classes (15-25 étudiant·e·s), et des étudiant·e·s que je peux suivre à chaque quadrimestre sur les deux premières années de bachelier. C’est très enrichissant (pour moi en tout cas – et je l’espère pour eux et elles).

Ce qui m’a poussé en science politique? Un intérêt marqué pour l’histoire, la géo, le français, les langues… et sans doute, une histoire familiale liée à la politique belge (et surtout wallonne et namuroise). Mon arrière-grand-père, François Bovesse, était une figure politique namuroise et wallonne importante. Mon père a été bourgmestre de Namur pendant une grande partie de mon enfance. La politique a toujours été présente dans ma vie. Enfant et adolescente, je participais fréquemment à des évènements de commémoration de la Guerre 1940-45 et de l’Holocauste, à des activités de développement Nord-Sud, à des manifestations contre la guerre en Irak… sans parler des soirées électorales belges, françaises ou américaines toujours très animées à la maison!

Pouvez-vous nous synthétiser les enseignements de vos recherches plus globalement ?

Mes recherches doctorales et postdoctorales se sont intéressées à la cohésion interne aux partis politiques, et plus spécifiquement aux causes de la dissension partisane dans un ensemble de partis présents dans les parlements nationaux de démocraties européennes. Parmi d’autres résultats intéressants, je pointerais l’importance de considérer l’idéologie et l’organisation interne des partis pour comprendre la manière dont les membres et les élites des partis pensent leur relation à leur organisation (enjeux de loyauté vs d’autonomie, de sens du collectif vs de la mise en avant de l’individu, d’acceptation ou de refus des désaccords internes, etc.) (voir mes publications dans Party Politics 2018, 2019; Parliamentary Affairs 2019).

En dehors de mes recherches personnelles, je collabore régulièrement à des enquêtes et ouvrages relatifs aux partis politiques et aux élections en Belgique, via des projets collaboratifs et des consortiums interuniversitaires (RepResent 2018-2021 ; Local Party Offer 2018-2019 ; NotLikeUs 2022-2025). Je pointerais quelques enseignements liés aux analyses de la dernière séquence électorale belge 2018-2019 :

(1) Les émotions, souvent ignorées dans les modèles explicatifs du vote, jouent un rôle déterminant dans les décisions des électrices et électeurs de voter ou de participer de manière non institutionnelle (Politics of the Low Countries 2020; Politics & Governance 2023). Les émotions, qu’elles soient considérées comme « positives » ou comme « négatives », ne doivent pas être opposées à la rationalité et vues péjorativement. Elles contribuent au contraire aux prises de décision et au passage à l’action des citoyen·nes.

(2) La confiance ou méfiance des citoyen·nes envers les hommes et femmes politiques ou les institutions n’est pas forcément une donnée stable : elle peut être affectée par des éléments de contexte, comme des scandales (Acta Politica 2023). Potentiellement également, elle pourrait être reconquise, et les élu·e·s et organisations partisanes ont une responsabilité à cet égard…

Quel lien pouvez-vous faire entre vos recherches et l’actualité ?

Beaucoup ! Les scandales, le ressentiment démocratique, les émotions, les réformes et transformations des partis politiques… La plupart de mes recherches s’articulent à la grande question de la « crise » supposée de la démocratie représentative – et concomitamment, de la crise supposée des partis politiques. Concernant les partis politiques, ils ont depuis leur apparition été décriés, critiqués… Mais dans le même temps, ils ont été intimement liés au développement de la démocratie, du suffrage universel, du pluralisme politique. L’avenir seul nous dira si nous vivons la fin d’une ère, la fin d’un modèle de démocratie représentative, ou si nous sommes dans une phase de transformation de celle-ci et d’adaptation de ses acteurs et de ses règles de fonctionnement.

 

L’apparition et le développement des réseaux sociaux constituent par exemple une des transformations importantes dans la manière dont élites et citoyen·nes, mais aussi journalistes et organisations de la société civile, communiquent, mobilisent, informent ou… polarisent. Sans parler de l’énorme enjeu de la régulation des messages et des dépenses des partis sur les réseaux, et de la désinformation.

Mes intérêts de recherche les plus récents s’intéressent à la manière dont les partis politiques en Belgique et leurs élites se sont adaptés à ces développements, et à l’usage qu’ils et elles font de ces outils, particulièrement en termes de « contenu » des messages. À nouveau, on peut constater des différences entre partis politiques (et entre individus au sein des partis), en fonction de leur idéologie, de leur sociologie et de leurs rapports aux groupes sociaux, de leur statut au sein du système politique (partis mainstream ou radicaux, d’opposition et de gouvernement, etc.).

Qu’est-ce que vous préférez le plus dans ce domaine qu’est la science politique ?

Même si je travaille sur des thématiques variées – les comportements politiques, les attitudes de confiance/méfiance politique, les innovations démocratiques, la représentation, etc. -, mon objet favori reste les partis politiques. Un parti, c’est davantage qu’une somme d’individus, c’est un collectif, une organisation qui travaille sur elle-même, qui tente de faire sens du monde et de la société, mais aussi de faire sens du groupe lui-même. Aussi, les familles de partis, les idéologies, la sociologie des partis, leur organisation interne me passionnent. Je dis souvent à mes étudiant·e·s qu’étudier les partis politiques sous ces divers angles, les comparer entre eux et dans le temps, c’est étudier la société, ses enjeux, ses clivages et son évolution.

Où vous voyez vous dans 10 ans ?

Comme aujourd’hui : entourée de super collègues de l’ULB et du Cevipol mais aussi d’autres centres de recherche avec lesquels nous travaillons. Le collectif est la clé ! J’imagine aussi pouvoir retrouver dans mes collaboratrices et collaborateurs des étudiant·e·s formé·e·s à Charleroi…

  L'entretien a été mené le 15 novembre 2023.  
Images : "Angel & National Flag of Belgium, Martyrs' Square - Place des Martyrs - Martelaarsplaats, Brussels, Belgium" by historic.brussels is licensed under CC BY 2.0.; "The European Union flag in the European Parliament in Strasbourg" by European Parliament is licensed under CC BY-NC-ND 2.0.; "facebook" by stockcatalog is licensed under CC BY 2.0. .