Ce projet est né d’une insatisfaction et d’une intuition puis propose une démarche :
L’insatisfaction est celle que nous éprouvons devant l’épuisement progressif de l’efficacité cognitive des catégories d’analyse qui rendent compte de « l’acte de gouverner » (souveraineté, pouvoir, puissance…) et des institutions ou régimes qui les mettent en formes : (État, gouvernement…). Catégories forgées pour l’essentiel à partir du XVe siècle ou qui prennent leur sens contemporain à partir de cette période, elles semblent inadéquates pour appréhender ce que nous vivons. Cette inadéquation engendre deux effets opposés mais qui peuvent être simultanés : masquer ou au contraire surestimer les transformations actuelles qui semblent affecter les « arts de gouverner » (Senellart). Les masquer dans la mesure où les catégories que nous utilisons, souvent faute de mieux, telles que État, société civile, gouvernement, domination, puissance nous empêchent probablement de comprendre notre monde. L’illustration la plus nette de cette difficulté est celle que nous rencontrons avec le concept d’État : nous en percevons les insuffisances présentes pour rendre compte des modes institutionnels de pouvoir, mais nous peinons à en définir d’autres. La floraison de néo-concepts ou de notions tels que « mondialisation », « globalisation », « glocalisation », « gouvernance », « réseaux », « empire » censés mieux en rendre compte fournit en fait davantage le cadre d’un débat que de réelles catégories d’analyse. Mais à l’opposé nos modes de raisonnement tendent aussi peut-être à surestimer les nouveautés. Nous prenons l’habitude de raisonner par « idéal-type » dont le contenu est de plus en plus précis (ce qui est d’ailleurs contraire à la notion même d’idéal-type) et toute inadéquation avec ce que nous percevons nous conduit à conclure rapidement à la caducité de celui-ci , d’où la multiplication de l’emploi des mots « transformation », » crise », « fin »…Si nous nous référons au concept d’État, nous constatons l’épuisement de son modèle classique mais l’État s’y réduit-il ? Le « monopole de la violence légitime » a-t-il seulement jamais existé et définit-il ce qu’est un État ? La doxa devient alors celle de la transformation, de la crise ou du déclin des modes « traditionnels » de pouvoir au premier rang desquels l’État. Sans nier par principe ces transformations, il convient de s’interroger sur leur portée véritable, leur signification et leur réalité. Si l’État se transforme est-ce que tout se transforme en son sein ? Les transformations concernent-elles les finalités, les mises en forme, les discours, les pratiques ? Tout cela ou certains aspects seulement, tous les États dans le monde ou certains d’entre-eux ?
L’intuition est qu’il ne faut pas traiter chacune de ces catégories d’analyse de manière isolée mais sous la forme d’une « configuration » dont chacune des composantes est en interaction avec les autres et dont l’ensemble figure les différentes manières de gouverner, les institutions qu’elles mettent en place, les discours qu’elles énoncent. Pour cela, il est nécessaire de dépasser les découpages disciplinaires qui sont à la fois les producteurs et les résultantes de ces catégories d’analyse et de ne plus focaliser sur l’une d’entre elles, par exemple l’État, mais au contraire prendre un objet large, les différentes modalités de l’acte de gouverner, pour l’apprécier dans son historicité plutôt que dans une pseudo naturalité. Il n’existe ainsi pas, à notre sens, un « État véritable » parvenant à maturité au XXème siècle puis déclinant mais des formes d’État dont les modes de légitimité, les finalités, les structures évoluent sans cesse dans l’histoire, non pas un concept de pouvoir qui serait de tous les temps et de tous les lieux mais des pouvoirs dont l’horizon de sens ne se confond pas de manière exclusive avec la domination et qui peuvent servir différentes finalités.
Notre réseau se propose un triple travail portant sur les manières de gouverner :
– Emmanuel Klimis (U Saint Louis)
emmanuel.klimis@usaintlouis.be
– Philippe Vincent (U Liège)
PH.Vincent@ulg.ac.be