Regard sur les négociations internationales d’environnement

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Un entretien avec Amandine Orsini.

Qu’est-ce qui vous a incité à devenir politologue?

Amandine Orsini: J’ai un diplôme d’ingénieure en aménagement du paysage d’une école d’ingénieur.e.s horticoles française. A la fin de ces études appliquées, j’ai ressenti le besoin de ne plus uniquement faire l’environnement (et notamment des espaces verts) mais de comprendre pourquoi je le faisais de telle ou telle façon. Ce besoin d’une prise de recul et d’un questionnement sur le sens des pratiques d’aménagement du paysage, couplé à mes facilités en langues et ma propension pour les voyages, m’ont poussée vers un Master en politique comparée et relations internationales à Sciences Po Bordeaux. Un pari qui se transforme en réussite, avec l’obtention d’une bourse de doctorat du Ministère de la recherche français pour travailler sur les politiques internationales de la biodiversité, et notamment la question du lobbying industriel.

Ainsi, à l’image de mon sujet de doctorat, l’ensemble de mes projets de recherche naissent depuis du mariage entre mes compétences en sciences dures et environnementales et la science politique, en particulier les relations internationales: j’enchaîne un premier post-doctorat d’un an à l’ULB puis un mandat de chargée de recherche FNRS à l’ULB sur la question de la cohérence des négociations internationales d’environnement. En 2012 je suis recrutée comme Professeure à l’USL-B, enseignante donnant tous les cours généraux de relations internationales et chercheure en politique internationale de l’environnement. Depuis 2020 je dirige mon centre de recherche, le Centre de recherche en Science Politique (CReSPo).

Pouvez-vous nous synthétiser les enseignements de vos recherches plus globalement et quel lien pouvez-vous faire entre vos recherches et l’actualité?

Amandine Orsini: Mes recherches de doctorat ont montré que les entreprises ne sont pas toutes opposées aux mesures environnementales internationales et que les firmes obstructionnistes sont souvent mal organisées au moment des négociations. Par contre elles sont beaucoup plus écoutées au niveau des gouvernements: internationaliser les discussions sur les questions d’environnement, et écouter la diversité des intérêts des entreprises sont donc deux pistes pour renforcer le gouvernance environnementale. Mes recherches de post-doctorat montrent que les négociations internationales d’environnement touchent à de nombreux autres domaines des relations internationales.

Par exemple, la question de la gestion des forêts est à la fois une question environnementale bien sûr, mais aussi commerciale (le commerce du bois) ou encore agricole (la question de l’utilisation des terres). Il ne faut donc pas comprendre les négociations internationales sur les forêts, et plus généralement les négociations internationales sur une thématique précise comme se déroulant dans des institutions internationales ou des régimes internationaux isolés, mais les comprendre comme se déroulant au sein de ce que j’ai contribué à définir comme des « complexes de régimes », à savoir des structures faites de plusieurs régimes internationaux (le régime environnemental, commercial et agricole pour les forêts par exemple). Cela permet de mieux envisager la cohérence des politiques internationales, et de montrer les synergies réelles entre thématiques internationales.

Quel lien pouvez-vous faire entre vos recherches et l’actualité?

Amandine Orsini: Mes recherches suivent plus généralement les processus de négociations internationales en cours, et en cela je suis toujours directement l’actualité. Par ailleurs, j’ai commencé en 2020 un nouveau projet de recherche (PDR du FNRS) sur la place des jeunes en politique internationale de l’environnement, et notamment dans les politique internationales sur les changements climatiques, la biodiversité, et les objectifs de développement durable.

Ce projet s’inspire directement de l’actualité du moment, et notamment les interventions de Greta Thunberg aux Nations unies ou le mouvement Fridays For Future. Alors que les jeunes sont très médiatisé.e.s, et notamment dans leurs activités de protestation, on en sait très peu sur leur engagement formel dans les négociations internationales. Mon projet vise directement à comprendre, entre autres, si les contestations levées par les jeunes répondent à des frustrations et difficultés qu’ils/elles rencontrent à participer au jeu politique. Il a également pour objectif de comprendre si ces revendications de la jeunesse, souvent innovantes et justes, trouvent leur chemin dans les processus internationaux.

Qu’est-ce que vous préférez le plus dans ce domaine qu’est la science politique?

Amandine Orsini: Ce qui m’intéresse avant tout est de comprendre qui a le pouvoir, pourquoi, et quels effets cela a sur le contenu des décisions qui sont prises. C’est une vraie chance de pouvoir réfléchir, prendre du recul, observer les pratiques des acteurs et actrices politiques et tenter de proposer de nouvelles grilles de lecture et des voies d’amélioration.

Où vous voyez-vous dans dix ans? Quels sont vos projets?

Amandine Orsini: J’espère avant tout pouvoir continuer à exercer mon métier dans de bonnes conditions, ou en tout cas celles que j’arrive encore à garantir aujourd’hui: des financements de recherche relativement ouverts qui me permettent de choisir les sujets qui me semblent pertinents ; la possibilité d’encadrer de jeunes chercheur.e.s motivé.e.s par leur sujet et la carrière académique ; la chance d’avoir des contacts directs avec des étudiant.e.s participatifs/participatives. Mais je m’inquiète des nouvelles tendances à la diminution des fonds pour la recherche en sciences sociales, au manque de postes académiques et au tout numérique…

Et pour ma thématique de recherche, si j’avais un souhait, ce serait de réussir à convaincre les décideur.e.s mais aussi les citoyen.nes que « politiques environnementales » ne riment pas avec « restrictions » ou « sobriété », mais bien plus souvent avec « bon sens » car c’est souvent avant tout une question d’équilibre, et nous avons toutes et tous besoin d’équilibre.

 

L'entretien a été réalisé le 21 novembre 2022

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Amandine Orsini est Professeure de Science politique à l’Université Saint-Louis – Bruxelles. Elle est titulaire d’un doctorat en Science politique, spécialité Politique comparée et Relations internationales, de Sciences Po Bordeaux

 

 

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L’entretien a été réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du Parlement de Wallonie.

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