Un entretien avec Clémence Deswert.
Clémence Deswert: J’ai fait un bachelier en Information et Communication à l’ULB, puis un master en Journalisme à finalité politique et société en Belgique, aussi à l’ULB. Ensuite, j’ai complété ma formation par le master de spécialisation en études de genre coorganisé par les six universités de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce master avait l’avantage d’être interdisciplinaire, ce qui m’a permis de travailler avec une politologue, Caroline Close, qui était ma promotrice de mémoire et est devenue par la suite ma promotrice de thèse. C’est certainement en grande partie ce concours de circonstances qui m’a amenée à faire de la science politique.
Quand j’étais plus jeune, même si on ne parlait pas vraiment de politique à la maison, on mettait toujours les deux journaux télévisés le soir. Qui sait, peut-être que c’est cela qui a fait que j’ai commencé à m’intéresser à l’actualité politique. En plus, je viens de la province de Liège où la vie politique a toujours été particulièrement intense. Je me suis dit: j’aime écrire et j’aime l’actualité, pourquoi pas journaliste! Mais même si les études en journalisme étaient top, au final je me sentais meilleure lectrice et auditrice de contenus journalistiques que journaliste. La recherche me convient mieux.
Puis, il y a eu le fait de me rendre de plus en plus compte au fil de mes études que les actrices et acteurs politiques que l’on interviewait étaient en fait surtout des acteurs… et que c’était souvent un impensé. Tout se passait, et tout se passe encore souvent, comme si c’était normal de voir apparaître à l’écran une réunion ou un débat entièrement masculin entre des chefs de gouvernements ou des présidents de partis, comme si cela n’affectait pas la conception et la vision de ce qu’est la politique et de ce que c’est que de faire de la politique.
Clémence Deswert: Comme je suis en deuxième année de thèse, disons que mes recherches en sont à leur début mais je peux peut-être dire quelques mots du projet.
Mes recherches s’articulent autour de la construction genrée du leadership politique, particulièrement dans le discours médiatique. Les études sur les stéréotypes de genre en matière de leadership ont souligné que les attributs associés au leadership étaient aussi les attributs traditionnellement associés à la masculinité, mais aussi aux hommes (le fait d’être ambitieux, confiant, rationnel, d’incarner un leadership "fort"). Les femmes ont plutôt été considérées comme "douces", empathiques, à l’écoute, comme étant guidées par les émotions et ces caractéristiques ont souvent été en opposition avec ce qui était attendu d’une ou d’un "bon leader".
Néanmoins, les lignes bougent et certaines études ont montré que l’incarnation d’un leadership politique inclusif de qualités historiquement associées à la féminité était progressivement plus appréciée. Mes recherches s’inscrivent dans ce constat.
Plus précisément, j’ai l’impression que la construction du leadership politique pourrait être davantage ouverte aux qualités liées au care. L’éthique du care fait référence à un mode alternatif de raisonnement moral centré sur le maintien de la relation, la considération du contexte et des émotions, la dépendance, les subjectivités, et la responsabilité collective de prendre soin des autres, contrairement aux visions traditionnelles de la moralité qui reposent plutôt sur l’application d’une conception universelle de la justice. C’est la psychologue Carol Gilligan qui a conceptualisé cette éthique comme une éthique féminine dans les années 1980.
Son travail a ensuite été développé dans plusieurs domaines et le care est maintenant plutôt considéré comme une pratique sociale et politique associée à des qualités ou valeurs comme la responsabilité, l’attention, la réciprocité, la reconnaissance de la vulnérabilité et de l’interdépendance, l’inclusivité, la capacité à répondre aux besoins d’autrui, etc. Ces travaux ont permis de dénaturaliser le care : le care n'est pas "naturellement" féminin mais valorise des qualités qui ont été historiquement attribuées au féminin et donc au femmes.
Détaché de la pseudo-" essence" des femmes, le care est devenu une pratique sociale que tout le monde peut apprendre et "cultiver". Je m’interroge aussi sur l’idée que les politiciennes et les politiciens pourrait avoir recours à certains registres du care dans leur pratiques de communication et dans leur discours.
Clémence Deswert: Cela va peut-être paraître un peu bateau, mais je pense que certaines citoyennes et citoyens sont demandeuses et demandeurs d’une autre forme d’exercice du pouvoir politique, qui soit moins vertical, plus centré sur l’écoute, mais aussi moins dominateur et moins « viriliste ». Je pense que cela devrait inclure une réflexion sur le recours au care, et une réflexion qui considère le genre de façon plus générale.
On peut citer par exemple le cas de la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern. A l’annonce de sa démission, beaucoup ont salué son leadership à la fois empathique et déterminé, et son style a parfois été présenté comme un exercice « féministe » du pouvoir. On voit que les redéfinitions du leadership politique suscitent du débat public.
Par ailleurs, il existe des exemples récents de recours au registre de langage du care pour promouvoir une politique assez éloignée du projet politique lié au care. Certains auteurs ont par exemple souligné que Donald Trump avait régulièrement fait référence au fait de « prendre soin » pendant son mandat.
Clémence Deswert: Je dirais le fait que la science politique soit une discipline ouverte aux autres disciplines, en tout cas dans l’expérience que j’en ai. Dans le cas de mon projet de thèse, il y a une ouverture aux sciences de la communication et aux études de genre, mais j’ai des collègues qui vont aussi puiser dans la psychologie et bien entendu la sociologie, et je vois ce décloisonnement comme une source de richesse.
Clémence Deswert: C’est une question très difficile. Dans les dix années à venir, les défis démocratiques, sociaux, environnementaux vont rester tellement énormes que j’ai beaucoup de difficultés à me projeter et j’imagine que je suis loin d’être la seule dans ce cas.
L'entretien a été réalisé le 21 janvier 2023.
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Clémence Deswert est doctorante en science politique et Aspirante FNRS à la Faculté de Philosophie et Sciences sociales de l’Université libre de Bruxelles, affiliée au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) et au centre de recherche interdisciplinaire TRANSFO.
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L'entretien a été réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du Parlement de Wallonie.
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