L’austérité budgétaire en Belgique : un consensus parmi les partis ?

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La politique budgétaire constitue un enjeu essentiel pour la vie démocratique d’un pays. Les choix qui sont faits quant à la répartition des ressources publiques vont en effet déterminer le niveau et la répartition du financement des politiques publiques. Ils vont également impliquer de favoriser un groupe social plutôt qu’un autre dans la distribution des ressources.

En 2013, tous les parlements belges sont appelés à ratifier les textes qui visent à introduire, dans le droit national, la « règle d’or budgétaire » (inscrite dans un Traité budgétaire européen) qui impose aux autorités de mener une politique structurelle de « rigueur » budgétaire (réduction des dépenses publiques).

Ce billet met en lumière le consensus qui unit la quasi-totalité des partis politiques représentés au sein des parlements fédéral, wallon et bruxellois (PS, sp.a, Ecolo, Groen, FDF, cdh, CD&V, MR, Open-VLD, N-VA) quant à la politique de l’austérité. A quelques exceptions près, tout.es les élu.es soutiennent, lors des débats, son introduction dans le droit belge et expliquent que ce soutien relève davantage d’une obligation morale et réaliste que d’un choix politique.

La politique budgétaire isolée des préférences politiques

Les député.es qui prennent la parole durant ces débats conçoivent la politique de l’austérité comme une « nécessité objective » qui s’impose d’elle-même. Les décisions budgétaires sont présentées comme des décisions comptables et déconnectées des positionnements idéologiques. Cette conception renvoie d’une part au registre du fatalisme (le fonctionnement de l’économie est hors de portée de l’action politique) et d’autre part à une idée de la morale (l’action politique est guidée par des valeurs partagées par l’ensemble de la société). Ainsi, la responsabilité des élu.es les obligerait à souscrire à l’austérité, quelle que soit leur orientation politique : l’État belge ne pourrait plus mener une politique déraisonnable et laxiste qui consisterait à dépenser de l’argent qu’il n’a pas. De plus, est invoqué l’égoïsme du comportement dépensier qui aurait pour conséquence de reporter le fardeau de la dette sur les « générations futures ». Cette représentation des questions budgétaires implique alors qu’elles doivent être extraites et protégées du débat politique.

L’invocation de contraintes extérieures pour justifier l’absence de choix politique

Les député.es font également appel à quatre types de contraintes externes qui s’imposeraient à eux/elles au moment de considérer le choix de l’austérité. Ces arguments viennent soutenir la justification de leurs votes favorables à la règle d’or.

Tout d’abord, les député.es font part de leur crainte d’une perte de confiance des marchés financiers. En effet, s’opposer politiquement à la règle d’or constituerait un signal négatif envoyé aux marchés quant à la capacité et à la volonté de l’État belge de sécuriser ses ressources afin de les destiner au remboursement de ses emprunts auprès de ces mêmes marchés.

Ensuite, les élu.es craignent que la Belgique ne se prive de l’accès au Mécanisme européen de stabilité, créé en 2012, qui prévoit une assistance financière (sous conditions) aux États qui n’auraient plus accès aux prêts des marchés financiers. Le Traité budgétaire contient en effet une clause qui conditionne l’accès à ce mécanisme à l’incorporation de la règle d’or dans le droit national.

De plus, la nécessité de « rester à la table des négociations » au niveau européen est également invoquée. Les député.es craignent que la Belgique ne se retrouve marginalisée vis-à-vis de ses partenaires européens si elle rejette une norme budgétaire approuvée par ces derniers. Or, les élu.es (en particulier écologistes et socialistes) affirment que ce n’est qu’en restant à la table des négociations qu’il sera possible de se battre pour une Europe plus sociale et solidaire, et éventuellement moins austéritaire.

Enfin, ils et elles expliquent que, dès lors que le Premier ministre s’est engagé et a signé le Traité aux côtés de ses pairs européens, les parlements belges ne sauraient s’y opposer au risque de décrédibiliser l’action du gouvernement. Par ailleurs, les règles austéritaires seraient déjà d’application via d’autres règlements européens, tandis que le traité est déjà entré en vigueur. Par conséquent, une non-ratification n’aurait donc aucun effet et ne ferait rien gagner à la Belgique ; mais elle risquerait de lui faire perdre beaucoup.

Un discours et un comportement ambigus pour les partis écologistes et socialistes

Si tous ces arguments sont largement partagés par la quasi-totalité des partis politiques présents, les partis écologistes et socialistes se distinguent légèrement.

D’une part, ils posent un discours relativement critique vis-à-vis de l’austérité et de ses effets néfastes en termes sociaux et/ou environnementaux. Malgré cela, ils concluent toujours à la nécessité de l’austérité qui s’impose à eux malgré tout. Pour les partis écologistes, cette critique se traduit dans un vote d’abstention « symbolique » par un seul membre du groupe dont tous les autres membres votent favorablement à la règle d’or. D’autre part, et uniquement lorsqu’ils se trouvent dans l’opposition, ils votent contre la transposition de la règle d’or. Les écologistes justifient alors la dualité de leur vote (pour lorsqu’ils sont dans la majorité, contre lorsqu’ils sont dans l’opposition) par le fait qu’ils aient réussi, aux niveaux de pouvoir où ils sont dans la majorité, à introduire, dans les textes législatifs, des « balises » qui inciteront les autorités à tenir compte des « objectifs sociaux et environnementaux ».

Quelles conséquences d’une politique budgétaire exclue du débat politique ?

Une telle vision, qui isole l’économie vis-à-vis de la sphère du débat politique, et qui fait consensus parmi les partis politiques, a des effets sur le fonctionnement démocratique du pays. En donnant à la politique économique une direction unique qui s’imposerait naturellement et objectivement, elle implique que l’alternance dans ce domaine est d’emblée disqualifiée, rendue impossible et impensable. Dès lors, elle participe au verrouillage idéologique – en plus du verrouillage juridique – de la conduite des politiques économiques présentes et futures en Belgique. Elle remet ainsi en question l’effectivité des élections, dont les résultats sont censés orienter la politique (économique) menée selon les préférences (potentiellement alternatives) exprimées par les citoyens. Pour cela, elle doit être questionnée, déconstruite et repolitisée.

Publication de référence : Gemander, A. (2023). « La stabilité budgétaire en (non-) débat : les discours parlementaires autour de la transposition du TSCG en Belgique », dans Piron, D. & Evrard, Z. (dir.). Le(s) néolibéralisme(s) en Belgique. Cadre macroéconomique, applications sectorielles et formes de résistance, Louvain-la-Neuve, Academia, pp. 105-130.   Image: 'Gros plan sur les objets de l'éducation et de l'économie' (licence libre)