L’Union européenne face à l’America first : fausse révolution, vraies ruptures

new-image
Ayant exercé ses fonctions de 2017 à 2020, Donald Trump s’est notoirement démarqué de ses prédécesseurs, non seulement par son approche nationaliste et populiste, mais aussi par sa volonté d’appliquer une politique étrangère transactionnelle visant à maximiser les gains et les intérêts des États-Unis sur la scène internationale. En Europe occidentale plus qu’ailleurs dans le monde le sentiment général vis-à-vis de cette administration renvoie aux nombreux excès, incohérences et ruptures que certaines décisions de celle-ci ont constitués. Trois années après qu’elle ait pris fin, d’aucuns (académiques ou politiques) continuent encore de soutenir les effets et altérations durables que l’administration Trump aurait eus sur la relation transatlantique. L’objectif de cette analyse est de mettre en perspective les décisions de celle-ci et de démontrer que si certaines de ses actions ont été en décalage avec des pratiques passées, dans bien d’autres domaines elles n’ont pas révolutionné la relation entre les États-Unis et l’Europe.

Les fondations endommagées de la relation transatlantique

La relation transatlantique s’articule autour de trois axes qui représentent depuis sept décennies les intérêts et idéaux partagés de part et d’autre de l’Atlantique. L’appareil militaire américain en Europe et la coopération sécuritaire via l’OTAN correspondent au premier axe de référence. L’attachement mutuel au respect de certaines valeurs cardinales telles que l’État de droit, la démocratie, les droits de l’homme et la libéralisation des échanges constituent le second. La promotion du multilatéralisme et de la gouvernance mondiale correspond au dernier axe de la coopération transatlantique. Ces trois axes se sont toujours montrés résilients en dépit de nombreux différends idéologiques et politiques opposant et ayant opposés les dirigeants européens et américains.

Pourtant, du point de vue européen, Donald Trump a fragilisé ces trois axes. En effet, la doctrine Trumpienne en relations extérieures a profondément inquiété les Européens tenant des valeurs néo-libérales internationales. Son dogme principal visant à maximiser les intérêts américains s’est concrétisé par la promotion de valeurs populistes, nationalistes et protectionnistes, à l’opposé d’éléments chers aux Européens tels que le multilatéralisme, le libre-échange, et la promotion les droits de l’homme. Cette doctrine, combinée aux commentaires virulents et aux décisions inconsistantes amorcées durant son mandat, a alarmé tant les États européens et que les dirigeants de l’Union européenne (UE).

On peut ainsi retenir parmi les diverses controverses l’opposition publique et récurrente du Président américain vis-à-vis de l’UE, qualifiée d’« ennemi des États-Unis » ; l’ambivalence par rapport à la clause d’assistance de l’OTAN en cas d’agression militaire ; les mesures attaquant directement des traités multilatéraux hérités des administrations précédentes ; les mesures déstabilisatrices ciblant les organisations internationales, OMS et OMC en tête ; les déclarations agressives envers des pays alliés, contrastants avec les discours de conciliation envers certains dirigeants autoritaires et populistes. ; et enfin la guerre tarifaire et douanière lancée contre l’UE.

Un Président sans précédent ?

Nombreuses sont pourtant les actions de Donald Trump qui, prises individuellement, n’ont pas constitué des décisions inédites à proprement parler. En effet, malgré les nombreuses différences de doctrine et de personnalité qui opposent les derniers gouvernements américains, les changements ou ruptures annoncées par ceux-ci ont souvent été la conséquence de tendances en place depuis plusieurs années. Ainsi, l’unilatéralisme américain n’est pas nouveau et reste un trait commun des administrations tant républicaines que démocrates. En outre, si Donald Trump s’est montré très critique et conflictuel avec plusieurs organisations ou traités internationaux, nombreux sont les reproches à avoir déjà été formulés sous les administrations Bush et Obama. C’est également un fait historique que les accommodements américains avec des régimes autoritaires sont monnaies courantes, tout comme leur relation deux-poids deux-mesures avec les droits de l’homme. Par ailleurs, la volonté américaine de diminuer leur présence militaire en Europe est constante depuis la fin de la guerre froide et les premières politiques commerciales protectionnistes remontent à Ronald Reagan.

Une popularité très fluctuante

Si les décisions de l’administration Trump n’étaient pas révolutionnaires, la réputation des États-Unis en a-t-elle été impactée ? La figure ci-dessous suggère que la baisse de popularité des États-Unis en Europe après les années Trump n’a pas été durable et n’était pas non plus exceptionnelle.

Figure 1 : Confiance accordée au Président,  par rapport à la perception des États-Unis en Europe

Source : WIKE, Richard et al. Int. Attitudes Toward the U.S., NATO and Russia in a Time of Crisis. Pew Research Center.

En effet, elle souligne qu’indépendamment des décisions américaines prises lors des deux dernières décennies, il existe une corrélation entre la popularité du Président des USA en Europe et l’image positive des États-Unis sur le vieux continent. Dès lors, la popularité d’un Président a un effet perceptible, mais non durable sur l’image des USA en Europe.

Quelle rupture ?

Si cette analyse nuance l’impact des décisions de l’administration Trump sur la relation transatlantique, elle ne néglige pas de souligner à l’inverse les conséquences du narratif idéologique qui les a entourées. La rupture qu’a constituée la politique de Donald Trump se retrouve dans l’intensité et la véhémence avec laquelle il a décrié ces trois axes dans sa communication publique. S’il y a donc bien eu une rupture dans la relation transatlantique par l’administration Trump, ce n’est pas tant par ses actions que par les doctrines et messages qu’il a véhiculés.

La réputation globale des États-Unis semble s’être redressée sous l’administration Biden. Il n’en reste pas moins que cette attaque en règle des trois axes a modifié en partie l’attitude des États et institutions européennes vis-à-vis des États-Unis, jusqu’alors très passifs et attentistes, pour afficher explicitement leurs divergences avec ceux-ci dans les dossiers où leurs intérêts entraient en rivalité. Elle a en outre contribué à renforcer le débat sur l’autonomie stratégique européenne.

Si les années Trump et les incertitudes liées à celle-ci ne sont pas oubliées en Europe, il est un fait que Joe Biden a réalisé une politique plus traditionnelle vis-à-vis de celle-ci et que l’agression russe contre l’Ukraine de 2022 a ressoudé les liens des Américains et des Européens autour des axes atlantiques et idéologiques. Pour autant, le retour en 2024 d’un Président américain proche de l’idéologie Trumpienne ne manquerait pas de relancer une nouvelle phase de distanciation de part et d’autre de l’Atlantique.

Publication de référence : Bricart, V. (2022). L’Amérique a-t-elle dépassé les bornes ? L’impact de l’administration Trump sur la relation entre les États-Unis et l’Union européenne. Revue de la Faculté de Droit de l’Université de Liège, 3(2), 525-551.

Images : 'President Trump Delivers Remarks on the America First Healthcare Plan', The White House (CC public domain 1.0) ; 'Doorstep - Informal Defence Ministers Meeting', e|sk (CC public domain 1.0) ; 'President Trump at the G20', The White House (CC public domain 1.0) ; 'President Trump Attends the NATO Plenary Session' ; The Trump White House Archived (CC public domain 1.0).