Back to the future : extrême droite et démocratie

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Un billet rédigé par François Debras

Historiquement, la littérature définit les partis politiques d’extrême droite comme opposés à la démocratie. Cette opposition est institutionnelle – ces partis souhaitent renverser les institutions démocratiques – ou valorielle – les valeurs portées par ces partis sont incompatibles avec celles d’une société démocratique. Cependant, d’un point de vue discursif, ces partis se présentent aujourd’hui comme les "défenseurs de la démocratie". 

Dans notre recherche, nous avons choisi d’étudier le terme "démocratie" dans les discours de deux partis d’extrême droite, le Rassemblement National en France (RN) et le Freiheitliche Partei Österreichs en Autriche (FPÖ). Notre objectif était la représentation du terme "démocratie" dans le passé, le présent et le futur afin d’exposer le "projet démocratique" des deux partis. Les verbes, les adjectifs et les adverbes racontent une histoire. Comme nous l’expliquerons, si le RN et le FPÖ se présentent comme les porteurs d’un renouveau démocratique, leur vision n’en reste pas moins traditionnelle et les termes "démocratie directe" sont limités à des sujets idéologiquement spécifiques.   

Nous avons analysé les discours du RN et du FPÖ disponibles sur leur site internet entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2018. Cette période nous permet de couvrir plusieurs événements politiques (notamment les élections présidentielles en Autriche de 2016, les élections présidentielles en France de 2017, les élections législatives en France de 2017 et les élections législatives en Autriche de 2017). Grâce à notre base de données reprenant 3460 documents pour le RN et 2583 documents pour le FPÖ, nous pouvons comparer les pratiques discursives en croisant plusieurs variables : les types de documents, les publics et les périodes. 

Democracy

Quelle temporalité pour la démocratie? 

Pour le RN, la démocratie est à "redécouvrir", à "restaurer" ou à "reconquérir". Ces verbes illustrent une vision passéiste. La démocratie est un état idéal perdu à la suite de l’européanisation et de la mondialisation. Le RN entend redonner aux Français la possibilité de choisir leur destin. Les discours racontent une histoire, celle d’un passé glorieux qu’il faut redécouvrir. En 2017, lors de la campagne présidentielle, comme l’exprimait Marine le Pen, présidente à l’époque du parti: 

Nous devons revenir à une démocratie qui respecte le peuple français. Nous ne pouvons plus nous défaire de nos promesses dès que nous sommes élus. Sans un véritable retour à la démocratie en France, il est totalement impossible de changer la situation en matière d'emploi, de sécurité ou d'immigration (Le Pen, 6 avril 2017).

Les discours jouent également sur les émotions comme le montre la citation suivante lors d’une conférence de presse: 

La question est à la fois simple et cruelle : nos enfants vivront-ils dans un pays libre, indépendant, démocratique? Pourront-ils encore se référer à notre système de valeurs? Auront-ils le même mode de vie que nous et nos parents avant nous? (Le Pen, 5 février 2017).

L’UE, les partis politiques et le gouvernement sont les boucs émissaires récurrents. Ils agissent contre le peuple, contre ses intérêts et ceux de la France. Pour les contrer, le RN propose de restaurer la souveraineté française, son indépendance, ses frontières, sa démocratie via le référendum et le passage d’un mode de scrutin majoritaire à un mode de scrutin proportionnel.

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Dans les discours du FPÖ, la démocratie est "rejetée" par les musulmans, "sapée" par l’Islam, "moquée" par les autres partis et "menacée" par l’UE. Selon ce parti, il faudrait la "protéger" et la "fortifier". Nous observons ici une distinction avec la rhétorique du RN. La démocratie n’est pas perdue, elle est en danger. Le problème n’est pas passé mais actuel. C’est dans ce contexte que les termes "démocratie directe" sont mobilisés par Petra Steger, députée FPÖ au Conseil national d’Autriche, afin de répondre  à un sentiment d’impuissance: 

La population a le sentiment de ne plus être représentée par les politiciens. Le fossé qui se creuse entre le peuple et les élites politiques et médiatiques qui prétendent parler en son nom doit être comblé. C'est la grande chance de la démocratie directe (Steger, 20 avril 2015). 

Comme pour le RN, la notion de crise est centrale dans la rhétorique du parti qui dépeint une image dramatique d’un système qui s’effondre. Le système est considéré comme décadent et le FPÖ est présenté comme une force de changement. 

Quelle forme pour la démocratie? 

En démocratie, le pouvoir émane du peuple. Ce lien inaltérable entre l'électorat et ses représentants ne peut et ne doit souffrir d'aucune restriction ni faire l'objet d'une interprétation restrictive (Domard, 7 mars 2018).

Pour Eric Domard, membre du bureau politique du RN, si le pouvoir émane du peuple, ce n’est pas au peuple d’exercer le pouvoir politique. De façon générale, le RN est favorable à une plus grande représentation et à une représentation plus proportionnelle et directe, c’est-à-dire sans intermédiaire entre les citoyens et leurs représentants. Mais le parti ne propose pas de nouvelle forme de démocratie visant à changer sa nature ou sa structure institutionnelle. Dans les discours du RN, le référendum est un instrument de confiance entre les Français et leurs dirigeants mais il ne se substitue pas à la logique représentative. Son recours est lié aux thématiques de l’immigration et de l’UE. En ce qui concerne le modèle participatif, le parti se montre critique à l’égard de ses applications. Le RN dénonce une "mascarade" (RN 14 janvier 2015), un "semblant de démocratie", un "hochet que l’on donne au peuple pendant que l’on cuisine en coulisse" (De Saint Just 5 octobre 2016).

Pour le FPÖ, la démocratie directe constitue un enrichissement pour la démocratie représentative. Mais, comme dans les discours du RN, les termes "démocratie directe" renvoient à un outil, le référendum, et non à un mode d’organisation politique différent. Cet outil permettrait pour ce parti de répondre à des questions spécifiques. Selon Herbert Kickl, à l’époque membre FPÖ du Conseil national d’Autriche et, depuis 2021, président du parti: 

Les questions controversées doivent être résolues par une démocratie plus directe ou par des référendums, par exemple sur l'immigration et l'accès au marché du travail. On pourrait facilement demander à la population si elle veut une immigration aussi lâche et inorganisée ou si nous devons prendre la voie du contrôle du marché du travail. On n'a jamais demandé aux Autrichiens s'ils voulaient cette immigration massive (Kickl, 12 avril 2017).

Le FPÖ propose la tenue d’un référendum vis-à-vis de la Turquie et de la poursuite des négociations sur le CETA et le TTIP mais se montre opposé aux quotas obligatoires des femmes dans le monde politique et entrepreneurial. En 2017, le président du parti, Heinz-Christian Strache, expliquait: 

Les problèmes des femmes ne sont pas en haut, mais en bas! Il y a trop peu de places en crèche et le temps passé à élever les enfants n'est pas pris en compte dans le calcul des retraites (Strache, 21 août 2017).

Back to the future

La vision de la démocratie véhiculée par le RN est celle d’un état idéal perdu qu'il faudrait retrouver ou redécouvrir. Le FPÖ, tout en faisant également référence à une société en crise, propose une temporalité différente et souhaite renforcer une démocratie aujourd’hui menacée.

Toutefois, dans les deux cas, le modèle représentatif domine. La logique de l’élection d’un représentant n’est pas remise en cause. Le RN et le FPÖ, bien qu’ils se présentent comme les défenseurs d’un nouveau modèle démocratique, conservent une vision traditionnelle et verticale : électeurs-représentants. La promotion de la démocratie directe n’est qu’un outil rhétorique pour critiquer les autres partis, le gouvernement et l’UE tout en politisant certains enjeux: rejet de l’immigration, rejet de l’UE, rejet de l’Islam, limitation du marché du travail, renforcement des contrôles aux frontières. Si les partis d’extrême droite se présentent donc comme des défenseurs ou des promoteurs de la démocratie, notre analyse critique des discours montre que leur vision de celle-ci reste représentative, traditionnelle, voire rétrograde et opposée à diverses propositions de réforme.

 

Publication de référence: Debras F. (2022) Back to the future, recovering the past: a critical discourse analysis of the terms ‘democracy’ and ‘direct democracy’ in the speeches of the Rassemblement National and the Freiheitliche Partei Österreichs. Journal of Contemporary European Studies, en ligne

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François Debras est professeur associé à l’ULiège et maître assistant à la haute école libre Mosane (HELMO). Sa thèse de doctorat en sciences politiques et sociales, défendue à l’ULiège, s’intitule « Le chant des sirènes : quand l’extrême droite parle de démocratie ». Ses recherches portent sur le populisme, l’extrémisme et le complotisme.

 

 

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Pictures: "Democracy Can't Breathe" by Aimee LeBlanc is licensed under CC BY-NC-SA 2.0.; "Democracy" by pedrosimoes7 is licensed under CC BY 2.0.; "2 - Democracy" by TeaMeister is licensed under CC BY-NC 2.0.; "Polling station" by Steve Houghton-Burnett is licensed under The Unsplach License.