La Belgique, une énigme pour la science politique ?

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À y regarder de près ou de loin, la Belgique est tout sauf un pays ordinaire. En effet, la politique belge est exceptionnelle à bien des égards. L'idée de notre livre est née d’une expérience commune à de nombreux politologues belges. À un moment ou à un autre, il nous est demandé d’« expliquer » la Belgique à un public étranger. Un tel exercice conduit à devoir tenter d’esquisser son architecture institutionnelle singulière et son surréalisme non seulement en peinture, mais aussi en politique. Tel est l’objectif du livre « Belgian exceptionalism » : explorer les caractéristiques particulières de ce pays.

Louée et décriée

D’une part, comme le montrent les chapitres de ce livre, la Belgique semble être à la pointe en matière de participation électorale, de vote électronique, d’innovations démocratiques et d’égalité des sexes. Elle est louée au niveau international comme un laboratoire pour la démocratie et la politique, comme un exemple à suivre pour d’autres sociétés divisées, multinationales et multilingues, et comme un modèle pouvant inspirer la gouvernance de l’Union européenne. D’autre part, son système politique est caractérisé par une forte instabilité gouvernementale, des tensions linguistiques et communautaires profondes, des partis populistes puissants et des négociations gouvernementales historiquement longues. En 2011, la Belgique a même battu le record du monde de l’Irak lorsqu’il lui a fallu 541 jours pour former un gouvernement et, en 2019-2020, le pays a été longtemps sans gouvernement investi des pleins pouvoirs. La Belgique est donc tant un objet de dérision internationale qu’une source d’inspiration. Dans la foulée de ce constat en miroir, la question qui guide chacun des chapitres de ce livre est double : la Belgique est-elle une énigme pour la science politique, et si oui, pourquoi ?


La Belgique sur les barricades

La première partie du livre s’articule autour de quatre chapitres qui mettent chacun en évidence la manière dont la Belgique, au lieu de suivre le peloton, a ouvert la voie en mettant en œuvre plusieurs innovations institutionnelles qui la distinguent de la plupart des autres pays européens. Tout d’abord, la Belgique a été le premier pays à adopter le vote obligatoire en 1893 et est un des derniers à l’avoir conservé jusqu’à aujourd'hui. Didier Caluwaerts, Sophie Devillers, Nino Junius, Joke Matthieu et Sarah Pauwels explorent cette énigme politique. Robin Devroe, Silvia Erzeel, Petra Meier et Bram Wauters réfléchissent aux conséquences à long terme d’une autre innovation électorale belge, à savoir les quotas de genre adoptés dans ce pays dès le milieu des années 1990. Régis Dandoy analyse le vote électronique, une autre énigme politique belge. En 1991, la Belgique a été l’un des premiers pays à tester le vote électronique tout en adaptant des pratiques différentes d’une région à l’autre, et parfois même d’une commune à l’autre. Enfin, la Belgique n’a pas uniquement innové en matière électorale. Julien Vrydagh, Sophie Devillers, Vincent Jacquet, David Talukder et Jehan Bottin ont identifié tous les mini-publics délibératifs (souvent qualifiés de panels citoyens) organisés à ce jour. Leur nombre élevé place la Belgique parmi les pays les plus avancés en la matière et les auteurs tentent d’expliquer pourquoi.

La Belgique, une démocratie en difficulté

Même si la Belgique a été à l’avant-garde en adoptant plusieurs innovations institutionnelles, le système politique du pays et ses institutions sont également confrontés à des problèmes fondamentaux. La deuxième partie du livre se concentre sur six de ces défis. Premièrement, Benjamin Biard analyse la montée des partis populistes d’extrême droite et la manière dont les élites belges ont appréhendé ces partis en mettant en place un cordon sanitaire. Un deuxième défi auquel est confrontée la démocratie belge est la particratie. Audrey Vandeleene, Maximilien Cogels et Chloé Janssen examinent le poids important des partis politiques dans la sélection des candidats aux élections. Troisième défi : la formation des coalitions. Lieven De Winter et Patrick Dumont étudient leur dynamique, et plus particulièrement la manière dont cette formation est devenue de plus en plus difficile en Belgique. Régis Dandoy et Lorenzo Terrière se concentrent sur le revers de la médaille. La formation de coalitions étant de plus en plus difficile, l’importance des gouvernements intérimaires (qui sont dits en « affaires courantes » en Belgique) n’a cessé de croître ces dernières années. Cinquièmement, Laura Pascolo, Daan Vermassen, Min Reuchamps et Didier Caluwaerts abordent le processus de fédéralisation et plus particulièrement de re-fédéralisation, qui témoigne d’un renversement du paradoxe du fédéralisme, une tendance qui n’a pas encore été observée dans d’autres fédérations. Le sixième défi concerne le cas particulier de Bruxelles. Benjamin Blanckaert, Didier Caluwaerts et Silvia Erzeel analysent les comportements électoraux dans cette région qui, contrairement aux autres régions, permet aux électeurs de voter pour un parti de l’autre groupe linguistique, ce que certains ne manquent pas de faire en raison de l’absence d’offre électorale dans leur propre groupe linguistique.


La Belgique et le monde

Malgré sa taille, l’exceptionnalisme belge tient aussi aux relations particulières que la Belgique entretient avec le reste du monde : à la fois en interne et à l’international. En interne, Valérie Rosoux étudie comment la Belgique a fait face à deux des épisodes les plus controversés de son passé, à savoir la collaboration avec l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale et la colonisation du Congo. Louise Hoon et Gilles Pittoors portent notre regard sur la place de la Belgique qui est, au sens propre comme au sens figuré, au cœur de l’Europe, en étudiant la position des partis belges à propos de l’européanisation. Sur la scène internationale, Michel Liégeois et Murat Caliskan interrogent le rôle joué par la Belgique au sein du Conseil de sécurité de l’ONU où ce pays a été élu à six reprises, ce qui en fait le petit État le plus élu au monde.

Au final, ce livre ne se veut pas être un éloge académique de la Belgique, mais une évaluation critique de la manière dont la politique belge se distingue ou non dans une comparaison internationale. Il offre un aperçu du bon, du moins bon et, parfois, du ridicule, tout en essayant de clarifier pour un public belge et international différentes facettes de l’exceptionnalisme belge.

Publication de référence : Caluwaerts, D., & Reuchamps, M. (2022). Belgian exceptionalism: Belgian politics between realism and surrealism. London: Routledge.

Images : "Belgian Federal Parliament", C. Stock (CC BY 2.0); "Justitiepaleis Brussel", erasmushogeschool (CC BY 2.0); "Looking at Magritte I", C. B. Campbell (CC BY 2.0).