29 Feb 2024
Le concept des Balkans occidentaux couvre actuellement les six États suivants : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Monténégro, Macédoine du Nord, et Serbie. L’émergence du concept des Balkans occidentaux est indissociable de la conjoncture contemporaine et de l’évolution de la politique étrangère de l’Union européenne (UE) à l’égard de cette partie du continent européen. Ce billet vise à répondre à la question de recherche suivante : que signifie le concept des Balkans occidentaux dans le discours politique de l’UE ? L’argument principal ici est que le terme « Balkans occidentaux » n’englobe pas une dimension géographique et historique mais plutôt une dimension politique, géopolitique et technique.
La notion de « Balkans », en tant que concept désignant l’ensemble de la péninsule balkanique, est entrée dans la littérature au début du XIXe siècle. Cependant, pendant des décennies, le mot « Balkans » n’a pas réussi à s’imposer de manière dominante ou exclusive. En effet, ce n’est qu’à partir du milieu du XIXème siècle que la notion commença à être utilisée par la plupart des auteurs pour désigner l’ensemble de la péninsule.
La Première Guerre mondiale (1914–1918) a définitivement transformé la perception des Balkans dans le reste du continent, en l’associant systématiquement à des connotations négatives sur les plans politique, social, culturel et idéologique, donnant ainsi au terme « Balkans » un caractère péjoratif. Plus précisément, cette période a donné naissance au concept de « balkanisation », qui fait référence à la fragmentation politique et territoriale dans un contexte d’hétérogénéité ethnique et de conflits territoriaux et frontaliers. Si le nom « Balkans » avait à l’origine une signification plutôt neutre, au fil du temps, il s’est considérablement éloigné de la simple localisation géographique, prenant une dimension géopolitique, voire politique. Dans la région elle-même, la notion d’Europe du Sud-Est est largement considérée comme un concept plus neutre, apolitique et non-idéologique que celle des Balkans. Toutefois, le terme Europe du Sud-Est est beaucoup plus large que celui des Balkans occidentaux.
En 1998, l’UE a introduit pour la première fois la notion de Balkans occidentaux. Les Balkans occidentaux sont un groupe d’États que les autorités européennes ont distingué des autres pays des Balkans ou de l’Europe du Sud-Est comme la Roumanie, la Bulgarie et la Slovénie, à savoir des pays qui ont fait des progrès plus rapides vers l’adhésion à l’UE, et la Grèce, qui est membre de l’UE depuis 1981. La Croatie était initialement considérée comme un pays des Balkans occidentaux jusqu’à son adhésion à l’UE en 2013. La notion des Balkans occidentaux a donc été conceptualisée par l’UE pour désigner une partie de la région de l’Europe du Sud-Est ou des Balkans. Il s’agit d’un processus de catégorisation par les institutions et les dirigeants européens, dans lequel les Balkans occidentaux sont devenus un dénominateur commun pour les États non-membres de l’UE de la région.
Dans les déclarations et documents officiels de l’UE, il est très souvent mentionné que « l’avenir des Balkans occidentaux se trouve au sein de l’UE » ou que « l’UE n’est pas complète sans les Balkans occidentaux », et cela semble être un concept inclusif. Néanmoins, en même temps, pour l’UE, le néologisme des Balkans occidentaux implique toujours un sous-développement économique, les différends, les querelles et le nationalisme. La logique des autorités européennes à l’égard des Balkans occidentaux était de considérer ces pays comme fragiles, leur demandant de procéder à de nombreuses réformes avant de présenter une demande réaliste d’adhésion à l’UE.
L’UE a catégorisé les pays des Balkans: les membres de l’UE et les autres. Concrètement, il n’y a pas de « Balkans de l’Est », de « Balkans du Sud » ou de « Balkans du Nord », mais seulement des « Balkans occidentaux » et l’UE. Les pays considérés comme les plus proches du respect des normes et standards diffusés par le pouvoir normatif de l’UE ont été épargnés des mots « Balkans » et « Balkans occidentaux », souvent associés au concept de balkanisation, c’est-à-dire une connotation péjorative. En effet, l’européanisation est le concept opposé de la balkanisation. Dans le discours politique de l’UE, tant que les pays des Balkans occidentaux ne seront pas « européanisés », ils ne pourront en devenir membres. Le concept des Balkans occidentaux est donc utilisé par l’UE de manière stratégique et géopolitique et conduit à l’exclusion plutôt qu’à l’inclusion.
En 2013, 15 ans après l’apparition du terme et son entrée dans la terminologie européenne, l’adhésion de la Croatie a modifié la frontière entre les Balkans occidentaux et l’UE. La Croatie n’apparaît plus dans le paquet annuel d’élargissement de la Commission européenne évaluant les étapes de réformes dans les pays des Balkans occidentaux ni dans les conclusions du Conseil sur l’élargissement de l’UE. Bien qu’il soit inhabituel de restreindre une région, ce fait semble intrinsèque à la définition, politique et non géographique ou historique. En d’autres termes, l’évolution des relations entre les États concernés et l’UE déterminera s’ils feront ou non toujours partie du concept des Balkans occidentaux.
Depuis l’adhésion de la Croatie à l’UE, la question suivante se pose : que se passera-t-il lorsque tous les pays restants rejoindront l’UE ? Il semble que la notion de « Balkans occidentaux » soit amenée à disparaître définitivement au fur et à mesure des adhésions. Si l’on se base sur le cas de la Croatie, lorsque tous les États des Balkans occidentaux seront membres de l’UE, cette notion n’aura probablement plus de raison d’exister.
Cependant, depuis 1998, le terme Balkans occidentaux a trouvé un usage de plus en plus important au sein des institutions européennes, dans divers pays du monde et dans la région elle-même. À l’exception d’importantes critiques dans les débats académiques, le terme est déjà incorporé dans le discours et les communications quotidiennes. Au travers les interactions, cette terminologie a été empruntée par les organisations internationales, régionales et nationales, ainsi que par les journalistes, les médias, les diplomates, les académiques et même les citoyens ordinaires.
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