Parlement dormant, lève-tard bruyant ou contributeur maximaliste ? L’implication du Parlement européen dans la négociation d’accords internationaux

L’Union européenne (UE) négocie plus de 20 accords internationaux chaque année, dans des domaines divers tels que le commerce ou la pêche. Ces accords ont des impacts importants et entraînent parfois des mobilisations très visibles, comme l’ont montré les récents débats sur les conséquences agricoles de l’accord avec le Mercosur, qui regroupe plusieurs pays d’Amérique latine. Le Parlement européen est la seule institution de l’UE élue directement par les citoyens, et depuis décembre 2009, il doit donner son consentement à la fin des négociations pour que la plupart des accords puissent entrer en vigueur. Il joue donc un rôle clé pour conférer une légitimité démocratique aux accords internationaux.

Quelques études de cas montrent qu’en pratique le Parlement européen est bien plus actif que le simple fait de dire « oui » ou « non » aux accords internationaux - et d’ailleurs, il n’a opposé un « non » que trois fois depuis 2009. Par exemple, le Parlement européen a adopté plusieurs résolutions sur l’accord de commerce UE-Vietnam, et organisé des missions diplomatiques dans ce pays. Mais ces études de cas sont consacrées à une dizaine d’accords internationaux, la plupart avec des caractéristiques exceptionnelles. Mes recherches étudient donc l’implication du Parlement européen pour l’ensemble des 344 accords conclus sur la période 2009-2023, et ce de manière globale et comparative. Elles montrent que l’implication du Parlement européen est diverse, mais souvent limitée, et rarement aussi intense que dans les cas étudiés jusqu’ici en profondeur.

Prendre en compte les accords « normaux » : une perspective systématique pour distinguer les types d’implication parlementaire

Mes recherches s’appuient sur la compilation d’une base de données détaillée couvrant les 344 accords auxquels le Parlement européen a donné son consentement entre 2009 et 2023. Cela permet de couvrir l’ensemble des secteurs, ainsi que les accords « ordinaires », qui n’ont pas été forcément médiatisés.

Pour chaque accord, j’ai compilé les résolutions, les questions parlementaires, les rapports d’expertise et les débats en plénière du Parlement européen, ainsi que la phase du processus durant laquelle ces activités ont été conduites. J’ai ensuite créé des groupes d’accords présentant des schémas d’activités parlementaires similaires sur la base de la méthode dite « d’analyse de séquences ».

J’ai porté une attention particulière au timing de ces activités du Parlement européen car le processus de négociation des accords internationaux est fortement séquencé, avec trois phases aux caractéristiques distinctes. Durant la première phase d’autorisation de l’ouverture des négociations, les objectifs de l’UE sont établis. Durant la deuxième phase d’autorisation, les négociations sont conduites avec le pays tiers, et les débats internes à l’UE sont donc plus difficiles. Durant la troisième phase de ratification, il s’agit de mener à bien la procédure permettant à l’UE de devenir légalement liée par l’accord. Mais le contenu de l’accord ayant déjà été arrêté durant la phase précédente, il devient impossible de le modifier.

Trois types d’implication du Parlement européen

Mes résultats conduisent à distinguer plusieurs types d’implication du Parlement européen, et je me concentre ici sur trois types particulièrement importants. La figure 1 présente ces principaux types d’implication du Parlement européen par pourcentage d’accords internationaux concernés.

Figure 1. Les principaux types d’implication du Parlement européen

Source : Marine Bardou, sur la base du travail mené pour l’article de référence.

Les accords internationaux au quotidien : un « Parlement dormant »         

Mes résultats montrent que, pour près de 60% des accords internationaux, le Parlement européen est un « Parlement dormant » : il ne conduit aucune activité en dehors de l’octroi de son consentement – lequel est, d’ailleurs, presque systématiquement donné.

Il faut noter que ces résultats ont été obtenus sur la base d’activités ayant un certain degré de formalité, même si les parlementaires peuvent aussi s’appuyer, par exemple, sur des contacts informels avec la Commission qui ne sont pas pris en compte ici. Mais si de telles activités sont importantes en termes d’influence, elles ne sont pas visibles pour les citoyens, ce qui limite leur fonction de légitimation démocratique.

Des activités du Parlement européen souvent centrées sur la communication : le « lève-tard bruyant »

Le deuxième type d’implication parlementaire le plus représenté est celui du « lève tard-bruyant », qui couvre un peu moins de 20% des accords internationaux. Dans cette configuration, le Parlement européen conduit quelques activités durant la phase de ratification uniquement.

De telles activités ne peuvent influencer le contenu substantif de l’accord, déjà arrêté durant les négociations avec le pays tiers. Elles permettent surtout au Parlement européen de visibiliser sa position, ainsi que les débats ou enjeux autour de ces accords. Il s’agit donc avant tout de communiquer.

Un cas rare d’implication du Parlement européen : le « contributeur maximaliste »

Pour environ 4% des accords, le Parlement européen s’implique en tant que « contributeur maximaliste ». Dans cette configuration, le Parlement européen conduit un grand nombre d’activités durant toutes les phases du processus de négociation. Cela permet de remplir plus de fonctions que dans le cas du « lève-tard bruyant ». En effet, quand ces activités interviennent alors que l’UE prépare les objectifs qui seront poursuivis lors des négociations, elles ont un réel potentiel d’influence substantielle. De même, quand l’UE négocie en tant que bloc avec un pays tiers, l’implication du Parlement européen permet de demander des justifications sur les stratégies adoptées, et d’insister pour que certains objectifs soient poursuivis.

Or tous les accords étudiés en profondeur dans la littérature existante jusqu’ici (à l’exception de deux) appartiennent à ce type d’implication, qui est donc très rare. L’accord de Paris sur le climat, ou l’accord entre l’UE et le Royaume-Uni après le Brexit se trouvent par exemple dans cette catégorie. Autrement dit, la plupart des accords qui font l’objet d’études de cas sont des exceptions.

D’importants enjeux démocratiques

Mes résultats mènent à nuancer l’image d’un Parlement européen toujours très impliqué dans la négociation d’accords internationaux. Le Parlement européen est parfois très actif dans toutes les phases de la procédure de négociation d’accords internationaux, mais cela est l’exception plutôt que la règle. Le Parlement européen donne « priorité » à un petit nombre d’accords, pour lequel le processus est comparativement « démocratiquement renforcé ».

Mais pourquoi le Parlement européen s’implique-t-il davantage pour certains accords internationaux? S’agit-il d’accords avec davantage d’impacts sur l’UE, ou posant des problèmes particuliers ? J’explore les raisons conduisant le Parlement européen à s’impliquer (ou pas) dans la suite de mes recherches.

Publication d'origine : Bardou, M. (2024). Quiet Early Bird or Loud Late Riser? Parliamentary Activities and Types of European Parliament Involvement during the Negotiation of International Agreements. Journal of European Integration, 47(1), 43–61. doi:10.1080/07036337.2024.2360165.

Images : Vote on EU-Vietman Free trade agreement and other issues, 12/02/2020. Par Gabor Kovacs. Licensed under CC-BY-4.0: © European Union 2020 – Source: EP ; Manifestation contre le CETA (accord de commerce avec le Canada) et le TTIP (accord de commerce avec les Etats Unis), en face du siège strasbourgeois du Parlement européen, 15/02/ 2017. Par LeJC. Licensed under Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported.