Un billet de Thomas Legein et Emilie van Haute.
Les partis politiques exercent un rôle majeur dans toute une série de fonctions liées à la démocratie représentative. En Belgique, les partis ont évolué tant sur le plan des ressources que de leur structure organisationnelle. Ces transformations ne sont pas anodines et ont des répercussions sur le système politique au sens large.
Un des changements les plus marquants des partis belges est le déclin progressif de l’adhésion (cf. Figure 1 ci-dessous), touchant plus particulièrement les familles historiques socialiste et démocrate chrétienne. L’adhésion en masse semble être révolue, pointant une transformation du rapport entre citoyen.nes et partis. Si l’adhésion partisane n’a pas entièrement disparu, comme le montrent les évolutions plus contrastées des autres partis belges (libéraux, régionalistes, verts, nationalistes), cela dénote toutefois une difficulté pour ceux-ci à maintenir un ancrage sociétal fort.
Figure 1. Évolution du taux d’adhésion aux partis politiques en Belgique, 1961-2014 (M/E)
Ce déclin s’opère en parallèle d’une institutionnalisation des partis au sein de l’appareil étatique, notamment via la mise en place du financement public. Celui-ci constitue ainsi leur principale source des ressources financières (entre 75 et 90% selon le parti concerné). À cela s’ajoutent les rétributions éventuelles des mandataires, les dons et legs, et les fonds propres. La part des cotisations des membres dans le budget total des partis, quant à elle, est très faible: environ 3%. Cette dépendance au financement public est toutefois commune aux formations politiques dans la plupart des démocraties occidentales.
Une autre ressource est le personnel rémunéré. Les partis représentés au parlement peuvent bénéficier d’assistant.es parlementaires tandis que ceux exerçant le pouvoir au sein d’exécutifs bénéficient de l’expertise de membres de cabinets. Le financement public permet également aux partis d’engager du personnel, le tout poussant ainsi à la professionnalisation des partis politiques.
Les partis politiques belges se ressemblent par ailleurs beaucoup sur le plan de leurs structures organisationnelles telles que décrites dans leurs statuts. Le modèle organisationnel des partis belges, classique des démocraties occidentales, s’articule autour de trois à quatre niveaux: national, provincial, arrondissement/régional, et local. Chaque niveau est organisé autour d’un organe exécutif doté d’une présidence, et d’un congrès/assemblée/conseil.
Les sections locales constituent l’unité de base des partis et exercent des fonctions spécifiques: recrutement et formation de nouveaux adhérent.es, constitution des listes, offre d’opportunités de participation et de socialisation interne, courroies de transmission et agences de communication. Cette présence décentralisée assure aux partis un quadrillage du territoire sur lequel ils opèrent mais également une certaine flexibilité face aux spécificités locales des communes belges. Pour ces raisons, un ancrage local fort leur est bénéfique, et est par exemple lié à une plus grande chance de survie pour les nouveaux partis. Néanmoins, cela cache une réalité sur le terrain parfois toute autre et liée au déclin des adhésions mentionné plus haut. Les activités des sections locales sont aujourd’hui davantage centrées sur les élections, avec des périodes d’inactivité importantes hors cycles électoraux.
Les évolutions principales dans l’organisation des partis belges se situent dans la diversification des modes d’adhésion et les réformes des processus de prise de décision interne. En termes d’adhésion, plusieurs partis ont développé des alternatives plus ‘light’ à l’adhésion classique, espérant par-là redynamiser le contact avec la société civile.
Sur le plan des réformes des modes de décision, les partis ont évolué d’un principe de délégation à un principe direct. Jusque dans les années quatre-vingt, le modèle de délégation prévoit que les membres confient la prise de décision à un petit nombre de délégué.es qui prennent ensuite part aux grandes décisions internes du parti. Le modèle repose sur une délégation forte des pouvoirs de la base aux cadres intermédiaires. Les partis politiques ont néanmoins progressivement mis en place de nouveaux incitants afin de tenter de renouer le dialogue avec les citoyen.nes face au déclin des adhésions. Les réformes adoptées viennent nuancer le principe central de délégation en augmentant les prérogatives des membres et en introduisant par là une relation plus directe entre le niveau central du parti et sa base. Ainsi, tous les partis à l’exception des partis radicaux ont introduit l’élection à la présidence au suffrage universel des membres.
Néanmoins, le système ‘un membre, une voix’ ne signifie pas nécessairement l’organisation d’élections compétitives et ces dernières se révèlent souvent de simples plébiscites d’un.e candidat.e unique. Dès lors, ces réformes tendent plutôt à renforcer davantage la verticalité et la centralisation internes à travers un processus de (hyper-)présidentialisation et de personnalisation des partis.
Les partis politiques belges font face au défi de l’ancrage sociétal. Ils se sont dès lors progressivement tournés vers l’État, au travers du financement public mais aussi de l’exercice des principales fonctions liées à la démocratie représentative. En Belgique, cette pénétration de l’État se fait sans reconnaissance formelle du statut juridique des partis politiques, et sans contrôle et régulation spécifique au-delà de l’aspect financier.
Pour y répondre, certains partis tentent de repenser leur lien avec les citoyen.nes en opérant certaines réformes internes. Celles-ci n’ont pourtant pas fait revenir les adhérent.es en masse. Alors que les partis traditionnels se détachent des modèles de délégation pour adopter des modèles de démocratie directe en interne, ce sont les partis dont les procédures sont les moins ouvertes qui tendent à mobiliser davantage, sur le plan électoral à tout le moins.
Plus largement, la question de la place des partis dans le triptyque citoyen.nes-partis-État est plus que jamais au cœur du débat dans un contexte de crise annoncée de la démocratie représentative, et les choix qu’ils posent quant à leur mode d’organisation interne est révélateur de leur position dans ce triptyque.
En matière d’adaptations visant à enrayer leur déclin justement, les partis devront également intégrer deux autres défis centraux et pour partie liés: la déterritorialisation et le numérique. Sur le plan de la déterritorialisation, l’extension des droits politiques aux belges résidant à l’étranger fournit aux partis une nouvelle arène dans laquelle se déployer. Pour cela, les outils en ligne peuvent se révéler utiles. Si ces derniers peuvent permettre de dépasser les contraintes territoriales pour se reconnecter aux citoyen.nes, leur mise en œuvre est souvent l’apanage de professionnel.les et se fait généralement au détriment d’un ancrage local et interpersonnel fort, participant à l’éloignement vis-à-vis de la société civile.
Publication de référence:
Legein T., van Haute E. (2021), ‘Les partis politiques au prisme de l’organisation’, dans : Delwit P., van Haute E. (eds.) (2021), Les partis politiques en Belgique (pp.43-66), Bruxelles: Éditions de l’Université de Bruxelles.
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Thomas Legein est chercheur postdoctoral de la Fondation Wiener-Anspach à l’Université de Cambridge où il vient d’entamer un projet de recherche sur la perception des élites politiques et ses biais psychologiques. Plus largement, ses recherches se focalisent sur les réformes et dynamiques intra-partisanes ainsi que sur la représentation.
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Emilie van Haute est professeure en science politique au Centre d’étude de la vie politique à l’ULB. Ses recherches portent sur les partis politiques, la participation et la représentation politiques.
Pictures: "Belgium" by NASA Goddard Photo and Video licensed under CC BY 2.0.; "Calatrava in Liège" by Bert Kaufmann licensed under CC BY 2.0.; "Quelle cohérence de la politique belge contre la faim" by CNCD-11.11.11 licensed under CC BY-NC-SA 2.0..
Emilie van Haute est professeure de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB), où elle occupe un mandat de Professeure de recherche Francqui (2023-2026). Ses recherches portent sur les partis politiques, la participation politique, les élections et la démocratie. Ses projets actuels sont le Political Party Database (PPDB) sur les organisations partisanes, et le projet FNRS-FWO EOS NotLikeUs sur la polarisation en Belgique. Elle est également directrice du Policy Lab de SciencePo ULB.