Composition des listes : Les partis à la recherche de perles rares inexistantes ?

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Lorsque les électeurs se rendent aux urnes, ils ne peuvent choisir que parmi le menu défini par les partis politiques. Il n'y a pas d'autre option proposée à celles et ceux qui souhaiteraient tester un autre plat. La question de savoir qui devient candidat est donc particulièrement pertinente, car passer par la case de la candidature est une condition indispensable pour être élu.e. Quel type de profil les partis politiques recherchent-ils ? Au-delà de comment les candidats sont sélectionnés, il est pertinent de s'interroger sur pourquoi ces candidats sont choisis par les partis.

Pour cette recherche, je me suis tournée vers les acteurs centraux de la sélection des candidats : les sélectionneurs. Ces femmes et hommes politiques endossent des rôles variés au sein de leur parti, du plus visible au moins visible du grand public. Néanmoins, ils et elles partagent le fait d’avoir pris part à la décision importante de qui se retrouvera sur les listes électorales et à quelle place (pour chaque répondant lors de mon travail de terrain, a minima une fois, et pour des élections parlementaires). J’ai interrogé longuement 23 sélectionneurs dans trois partis belges francophones – le MR, le PS et Ecolo. Ces partis diffèrent en termes d’idéologie, de type de processus de sélection des candidats et de succès électoral. Ils se retrouvent cependant dans le fait qu’ils ne possèdent que peu de critères formels auxquels les aspirants-candidats doivent répondre (mise à part la signature d’une charte démontrant leur loyauté au parti). Au PS et chez Ecolo, les aspirants-candidats doivent formellement être membres.

Pour analyser pourquoi les partis sélectionnent leurs candidats, je m'appuie sur le modèle des objectifs stratégiques des partis développé par Gunnar Sjöblom en 1968. Je pars du postulat que les sélectionneurs recherchent des candidats susceptibles de les aider à satisfaire les objectifs fondamentaux du parti. Concrètement, les partis rechercheraient des candidats partisans qui permettent de préserver l'unité du parti, des candidats populaires qui aident le parti à remporter les élections et des candidats compétents capables d'aider le parti à mettre en œuvre ses propositions politiques. Toutefois, il n'existe que peu de candidats répondant à ces trois critères. Les sélectionneurs sont confrontés à des compromis délicats à résoudre : par exemple, si une candidate est loyale envers le parti mais peu convaincante aux yeux des électeurs, le parti sera-t-il prêt à la sélectionner ?

Qu’est-ce qu’un·e bon·ne candidat·e ?

Lancés par la simple question « Qu’est-ce qu’un bon candidat selon vous ? », les sélectionneurs m’ont partagé leur expérience lors de la constitution des listes. Composer un groupe de candidats n'est certainement pas une tâche facile. Les sélectionneurs ont confirmé les compromis auxquels ils sont constamment confrontés et la difficulté de trouver des « perles rares » combinant à la fois loyauté partisane, popularité électorale et compétences politiques. Aucun critère de sélection ne se suffit à lui-même : un militantisme de longue date au sein d'un parti n'ouvre pas automatiquement les portes de la liste, pas plus qu'une grande popularité, qui pourrait même rebuter les sélectionneurs si elle n'est pas compensée par des preuves de loyauté. Mais l'histoire n'est pas aussi simple : ma recherche a montré que les critères de sélection sont étroitement liés. Les sélectionneurs peuvent difficilement mentionner l'un sans faire référence à un autre. L’engagement partisan peut par exemple stimuler les compétences politiques, car le militantisme, voire le fait d’exercer déjà un mandat (même local), permet aux aspirants-candidats d'acquérir les compétences nécessaires pour faire de la politique. De même, l’engagement partisan contribue à la popularité, car se montrer uni en tant que parti peut porter ses fruits électoralement parlant.

L'une des principales conclusions de cette recherche est que l'équilibre des profils sur la liste est au moins aussi important que les caractéristiques individuelles des candidats. Les sélectionneurs se montrent prudents à l'égard d'une liste qui serait trop homogène, composée uniquement de « bons petits soldats » du parti, et manquerait d'attrait électoral et de diversité dans les compétences requises, ce qui nuirait in fine à la performance du parti dans les urnes.

Deux poids, deux mesures

Ma recherche met en outre en évidence le fait que les compromis entre les objectifs ne se traduisent pas de la même manière pour toutes les positions de la liste. Premièrement, les sélectionneurs pourraient revoir à la baisse leurs critères habituels pour les candidats visant des places moins en vue sur la liste : si la loyauté est une exigence pour les candidats sur des places dites « éligibles » (c’est-à-dire, qui se traduiront probablement en un siège au parlement), elle est beaucoup moins déterminante pour les candidats aux autres places. Un sélectionneur me partageait la réflexion suivante « Au niveau parlementaire, il faut certainement bien connaître le monde politique, agir loyalement dans la ligne, oui, avoir une capacité de voix et être populaire, oui, ça, ce sont des critères essentiels. » Deuxièmement, les sélectionneurs considèrent les compétences politiques comme un critère de second rang pour les candidats aux places non-éligibles, mais pas pour les candidats susceptibles d'entrer dans un parlement.

Troisièmement, la popularité est davantage recherchée au niveau agrégé qu’au niveau individuel : une liste électoralement performante combine des candidats présentant des profils (sociodémographiques) variés – comme le rapportait par exemple un sélectionneur : « [Un candidat qui] n'est pas attrapeur de voix, ça c'est quand même un peu rédhibitoire. Surtout pour quelqu'un qui est sur une place stratégique. Je dirais que, s'il n'est pas sur une place stratégique, je ne veux pas dire qu'on s'en fout mais... presque. C'est-à-dire, c'est quelqu'un qui va être là pour qu'on ne dise pas que la liste n'est pas équilibrée. »

Pour conclure, je constate que, même au niveau parlementaire, il n'est pas si simple pour les partis de recruter des candidats présentant toutes les qualités souhaitées. Les sélectionneurs peuvent être amenés à effectuer des choix sous-optimaux, en choisissant des candidats moins performants sur un critère. Il peut être surprenant que nos démocraties ne soient pas en mesure de fournir suffisamment de candidats « de qualité », aux yeux des sélectionneurs, pour remplir les listes et les parlements, ou peut-être est-ce parce que les rêves des sélectionneurs sont trop grands pour un monde trop petit.

Publication de référence : Vandeleene, A. (2024). The why of candidate selection: How party selectors handle trade-offs between party goals. Party Politics, 30(1), 73-84. https://doi.org/10.1177/13540688231174813

Images : "Une liste électorale dans un bureau de vote le 26 mai 2019, à Mons" by Belga; "Illustration of businessman selecting employee from abacus" by Snapgalleria; "Set of objects of political election of President" by Perfect_Kebab; "Continuous one line drawing of unbalanced scales of justice" by Logvin Art.