Cet article explore l’évolution de l’image que l’Union européenne (UE) projette d’elle-même en tant qu’acteur sur la scène internationale à travers ses relations diplomatiques avec les États-Unis, la Chine et la Russie. Il analyse comment son identité internationale se forge au gré de ses interactions avec ces puissances et des mutations géopolitiques mondiales. En étudiant l’évolution du discours de l’UE dans ses documents stratégiques, l’article souligne l’adaptabilité du narratif européen face aux influences extérieures. Il révèle ses efforts pour maintenir un discours cohérent et crédible sur son rôle sur la scène internationale, jonglant entre les narratifs soulignant la coopération, la compétition, son autonomie ou sa singularité, dans le cadre de ses relations avec les grandes puissances.

En quête d’identité : discours, réflexion et capacité d’action de l’UE
Les différents narratifs entourant l’identité internationale de l’UE reflètent un mélange de ses ambitions globales, de ses valeurs et de la nature de ses dialogues avec certains acteurs externes. Dans les années 1990-2000, l’Union se définissait comme un acteur international postmoderne, privilégiant la paix, le multilatéralisme et le respect du droit international à l’usage de la force diplomatique ou militaire. Cependant, cette vision d’elle-même va se fragiliser face à la
multiplication des crises internes, remettant en cause son modèle, à l’écart croissant entre ses ambitions et ses capacités réelles, et à un ordre mondial devenant plus martial et transactionnel. Ces contraintes ont progressivement poussé l’UE à repenser la nature de sa puissance.
La pérennité du rôle international que l’UE revendique dépend de sa capacité à aligner et moderniser ses récits, moyens et objectifs. Néanmoins, elle reste freinée par les limites de son actorness ("capacité à agir"), forte dans des domaines tels que le commerce, l’environnement et l’aide humanitaire, mais limitée dans les domaines de sécurité et défense. Ce déséquilibre révèle les défis que constitue la conciliation de ses aspirations normatives avec les réalités du système international. Pour préserver son influence internationale, l’UE doit ainsi pouvoir démontrer sa crédibilité et légitimité aux grandes puissances, nécéssitant pour cela de surmonter ses contradictions et d’adopter une approche cohérente, flexible et constante.
Cette reconnaissance se réalise par des mécanismes relationnels variés avec ses partenaires internationaux: dialogues institutionnels, récits partagés et accords de coopération. Progressivement, l’UE a construit des narratifs pour s’élever à leur niveau, souligant des caractéristiques communes tout en se distanciant de leurs aspects contraires à ses valeurs. Ce processus reste fragile car les dissensions entre États membres et les crises internes affaiblissent la cohérence de son narratif. Par ailleurs, sa reconnaissance externe demeure incertaine car les autres puissances peuvent contester son rôle lorsqu’il contraste avec leur propre vision de l’UE. Cette dissonance découle d’attentes souvent divergentes avec les siennes, ainsi que du dédain envers son modèle institutionnel perçu comme une source de complexité et de faiblesse.
L’UE face aux grandes puissances mondiales : de l’idéalisme au pragmatisme et à la résilience.
La relation transatlantique : un "grand frère" dont l'Europe cherche à s'émanciper
Les relations entre l’UE et les États-Unis reposent sur un ensemble de valeurs démocratiques partagées, des liens économiques solides et une défense conjointe de l’ordre international, éléments clé dans la construction de l’identité internationale de l’UE. Celle-ci se distingue cependant par son attachement au multilatéralisme et à la diplomatie, contrastant avec les tendances unilatérales américaines, pour se présenter comme plus “civilisée” que ceux-ci. Les dynamiques transatlantiques ont varié selon les administrations : l’unilatéralisme et l’interventionnisme de Bush ont contrasté avec l’affirmation de l’UE comme puissance normative, tandis que l’approche multilatéraliste d’Obama a favorisé des convergences idéologiques, malgré des divergences stratégiques persistantes. À l’inverse, la première administration Trump a exacerbé les tensions et creusé les divergences idéologiques, poussant l’UE à entamer son autonomie stratégique et à défendre le multilatéralisme face au repli américain. Malgré ces fluctuations, le socle de valeurs partagées restait jusqu’alors relativement résilient, en atteste la coopération renforcée euro-américaine en soutien à l’Ukraine. Il reste cependant à voir les effets durables qu’aura sur ce socle la deuxième administration Trump.
Les relations UE-Russie : du rapprochement structurel à la confrontation des modèles
Les relations entre l’UE et la Russie sont passées d’un optimisme originel à une confrontation idéologique ouverte. Initialement, l’UE espérait voir la Russie intégrer son voisinage stable, misant sur sa démocratisation progressive et la promotion de normes communes. Cependant, le fossé entre les parties s’est progressivement creusé. L’UE a graduellement associé la Russie à une puissance autoritaire, relique du passé européen, contrastant avec ses valeurs, tandis que Moscou a endossé le rôle d’alternative géopolitique via sa « souveraineté morale », s’opposant frontalement aux valeurs européennes. Cette rupture, marquée par des crises et rivalités d’influence dans leur voisinage commun, a culminé avec l’invasion de l’Ukraine. Aujourd’hui, l’UE perçoit la Russie comme une force déstabilisatrice et se considère engagée dans une confrontation idéologique avec celle-ci.
Les relations sino-européennes : de la promotion des valeurs à la realpolitik
Les relations entre l’UE et la Chine étaient initialement caractérisées par un désir d’engagement réciproque : l’UE cherchait à accompagner l’ascension de la Chine en promouvant les valeurs occidentales, tandis que la Chine visait à s’intégrer dans l’économie mondiale. Cette dynamique s’est cependant détériorée avec la montée en puissance chinoise et l’affirmation croissante de son autoritarisme. La crise financière de 2008 a recentré la stratégie de l’UE sur les enjeux économiques, reléguant les questions de valeurs à un rôle secondaire. Parallèlement, les divergences d’intérêts se sont accentuées, notamment sur les droits humains, les investissements chinois en europe et dans le contexte de la rivalité sino-américaine. Bien que des domaines de coopération subsistent, l’UE a progressivement adopté une approche pragmatique pour défendre ses intérêts stratégiques face à une Chine désormais perçue comme un concurrent systémique, dont les violations des droits de l’homme et les politiques répressives contredisent les valeurs fondamentales de l’UE.
L’évolution des doctrines stratégiques de l’UE
Les doctrines stratégiques de l’UE illustrent l’adaptation de son discours sur son rôle international face aux évolutions géopolitiques. La
Stratégie européenne de sécurité (2003) reflétait une vision idéaliste, centrée sur le multilatéralisme et les droits humains, prônant la coopération internationale et le rôle normatif de l’UE. Avec la
Stratégie globale de l’UE (2016), l’Union adoptait une posture plus pragmatique, intégrant les défis globaux et les crises internes de l’UE, tout en insistant sur la nécessité de renforcer la sécurité régionale et la résilience face à l’instabilité mondiale. La
Boussole stratégique (2022) marque un tournant dans la pensée européenne, promouvant l’autonomie stratégique et la défense européenne dans un contexte de tensions accrues avec les autres puissances, tout en réaffirmant ses valeurs. Ces évolutions reflètent la volonté de l’UE d’adopter une approche plus pragmatique et mature face aux réalités internationales.ne approche plus pragmatique et mature face aux réalités internationales.
Conclusion
L’identité internationale de l’UE en tant qu’acteur et puissance globale évolue donc constantament, façonnée par ses réflexions, apprentissages et pressions extérieures. Ses relations avec les États-Unis, la Russie et la Chine influencent fortement cette dynamique, l’obligeant à équilibrer intérêts économiques et valeurs fondamentales. Face à l’ascension chinoise, l’agressivité russe et les fluctuations du leadership américain, l’UE a troqué une posture idéaliste pour une approche plus pragmatique. Tout en défendant le multilatéralisme et une diplomatie axée sur les valeurs, elle cherche à surmonter ses crises identitaires et à préserver sa pertinence géopolitique, sans réformes institutionnelles, affirmant sa nouvelle nature d’acteur international pragmatique.
Publication d’origine : Bricart, V. (2025). The Edification of the International Identity and Actorness of the EU: Exploring the Significance of EU’s Engagement with Major Powers in Shaping its Global Self-Image. In: Lika, L., Riga, D. (eds) EU Geopolitical Actorness in a Changing World. Palgrave Macmillan, Cham.
https://doi.org/10.1007/978-3-031-81160-9_3
Images : 'Old Frayed European Flag', fdecomite (CC BY 2.0) ; 'USA, Russian, China and EU flags' (généré par IA) ; 'EU-China Summit in Brussels', europeancouncilpresident (CC BY-NC-ND 2.0).