Le déclin du Centre démocrate humaniste (cdH), anciennement Parti social-chrétien (PSC), s’est accéléré depuis le début des années 2000. L’érosion continue de son électorat depuis lors trouve trois sources structurelles majeures. D’une part, le parti a peiné à renouveler sa base, subissant le vieillissement de son électorat et de ses membres de front. Il a également échoué à maintenir une identité idéologique forte construite autour de la propriété d’enjeux clés sur l’agenda politique. Enfin, le parti a subi l’usure de la participation au pouvoir, voyant son image indissociablement liée à celle d’un parti incarné par des personnalités « de gouvernement » plutôt que construite autour d’un projet politique cohérent. Les revers significatifs subis coup sur coup lors des élections communales de 2018 et régionales, fédérales et européennes de 2019 entérinèrent les doutes concernant la survie du parti, ouvrant ainsi la porte à la transformation de cet acteur historique du paysage politique belge.
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L’élément déclencheur de la naissance des Engagé.e.s (LEs), le 12 mars 2022, remonte à l’arrivée de Maxime Prévot à la tête du parti en janvier 2019. Après une cinglante défaite quelques mois auparavant, et anticipant un revers substantiel aux élections législatives à venir, Prévot a repris les rênes du parti bien déterminé à engager une refonte profonde d’un cdH moribond. Il lança ainsi, en 2020, une initiative ambitieuse baptisée « Il Fera Beau Demain » (IFBD), confiée à Laurent De Briey. Ce conseiller, déjà en charge du processus de changement de l’ancien PSC en cdH en 2002, fut spécialement nommé pour mener à bien ce nouveau processus de transformation en redéfinissant le projet politique du parti et en modernisant son image.
Ouverture et inclusion comme outils de transformation
La particularité de ce processus de transformation tient dans l’utilisation inédite de différents outils de participation citoyenne tels que des mini-publics délibératifs, des assemblées citoyennes et des consultations en ligne de sympathisants. L’objectif affiché était d’élargir le débat sur l’avenir du parti au-delà des membres afin de rompre avec l’entre-soi et de rafraichir le corpus idéologique du parti. Malgré ça, la participation à ces initiatives et leur réel impact sur l’avenir du parti sont restés très limités, en partie à cause de la pandémie de COVID-19, ainsi qu’au contrôle fort exercé par Maxime Prévot et Laurent De Briey tout au long du processus.
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Cette ouverture a néanmoins contribué à créer l’image d’un parti inclusif et a permis aux initiateurs du processus de surmonter les réticences internes en dotant l’initiative d’une certaine légitimité populaire. À l’arrivée, la transformation du parti devait s’incarner tant sur le fond (aspects programmatiques) que sur la forme (fonctionnement interne du parti et renouvellement du personnel politique). Mais est-ce le cas ? Oui et non.
Des ruptures programmatiques et idéologiques
D’un point de vue programmatique, le manifeste du parti approuvé lors du Congrès exceptionnel du 14 mai 2022 entérine les nouvelles orientations de ce nouveau « mouvement positif » adepte d’un « humanisme régénéré ». Plus spécifiquement, cela s’incarne pour LEs dans la « régénération » de six piliers de la vie en société : le vivant, la culture, la prospérité, la démocratie, le pacte social et les libertés. On perçoit ici une volonté de se positionner plus clairement sur les questions économiques tout en portant une attention particulière aux matières en lien avec l’humain et la qualité de vie (santé, environnement, culture, etc.). Les liens entre citoyens (pacte social) et la réforme de la démocratie belge sont aussi au centre des considérations. Ces nouveaux positionnements, défendus lors de la campagne de 2024, se sont vus matérialisés dans les déclarations de politique générale des gouvernements wallons et de la Fédération Wallonie-Bruxelles que le parti forme désormais avec le MR. Ces deux gouvernements de centre-droit consacrent une importance particulière aux enjeux économiques et à la réforme de la gouvernance, au détriment des questions environnementales et au défi de l’enjeu majeur que constitue la pression sur le secteur de la santé.
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Les Engagé.e.s tranche ainsi clairement avec l’héritage chrétien-démocrate de ses prédécesseurs. D’une part, les liens historiques avec le pilier catholique ont explicitement été abandonnés, bien que les nouveaux profils forts du parti tels qu’Elisabeth Degryse (mutualité chrétienne) ou Yves Coppieters (Université catholique de Louvain) en restent issus. D’autre part, le parti donne officiellement une liberté de vote à ses députés sur les questions éthiques telles que l’avortement, l’euthanasie et le mariage ou l’adoption pour les couples de même sexe là où la ligne de ses prédécesseurs était plus conservatrice. Enfin, bien qu’il se garde de le revendiquer, le parti se positionne désormais au centre-droit sur les questions socio-économiques alors que le cdH adoptait une doctrine centriste tirant vers l’ordolibéralisme défendu par les chrétiens-démocrates allemands.
Un autre aspect sur lequel les initiateurs du renouvellement entendaient trancher avec le passé concerne le renouvellement du personnel politique et son fonctionnement interne. De nouveaux profils ont rapidement été mis en avant pour incarner les changements à l’œuvre. Citons notamment l’émergence d’Ismaël Nuino (plus jeune député fédéral et président de la section jeune du parti) et Marie Jacqmin (animatrice d’IFBD et députée de la Fédération Wallonie-Bruxelles), l’arrivée de Yvan Verougstraete (Vice-Président issu du privé) ou la nomination de ministres issus de la société civile comme Elisabeth Degryse (Ministre-présidente de la fédération Wallonie-Bruxelles) et Yves Coppieters (Ministre wallon de la Santé, de l'Environnement, des Solidarités et de l'Économie sociale). Mais malgré un effort important pour renouveler les listes des candidats aux dernières élections, nombre d’élus restent néanmoins issus des rangs du cdH.
Une continuité organisationnelle
Enfin, la dimension organisationnelle du parti est certainement celle sur laquelle LEs se différencie le moins du cdH et, d’ailleurs, de ses compétiteurs. Se voulant un « mouvement qui prend parti » (Les
Engagé.e.s) – c’est-à-dire une organisation aux structures fluides, échappant aux logiques traditionnelles de pouvoir et cherchant une mobilisation plus large que sa base autour d’enjeux précis – il n’en est rien. Verticalement, le parti a créé un échelon organisationnel intermédiaire en regroupant les sections locales en « bassins de vie » eux-mêmes regroupés en fédérations provinciales. Mais son organisation reste profondément ancrée dans une logique pyramidale de gouvernance par le haut pilotée par l’échelon national.
Horizontalement, le parti a certes laissé entendre qu’il intègrerait à ses structures des mécanismes de participation citoyenne destinés à ouvrir son organisation, la prise de décision et la réflexion politique aux citoyens intéressés. Mais la pratique est bien différente. Si des assemblées citoyennes internes semblent effectivement être organisées régulièrement, celles-ci ne sont pas formellement reconnues par les statuts de parti. Le cœur de la prise de décision reste localisé au sein d’un Bureau politique restreint autour de Maxime Prévot, déjà président du temps du cdH. Cet organe informel siège généralement en préambule du Bureau exécutif en charge de la coordination de la stratégie politique du parti et est composé des principaux responsables politiques du parti accompagnés de délégués des membres.
Les résultats des Engagé.e.s aux dernières élections ont démontré comment une stratégie astucieuse de rebranding peut redynamiser un parti historique en perdition. Ce rebranding n’a pas été qu’une opération marketing. Le parti s’est affranchi de son héritage programmatique et organisationnel en se distanciant explicitement du pilier catholique et de ses organisations. Il s’est ainsi repositionné stratégiquement, avec des gains électoraux indéniables, au centre-droit de l’échiquier politique désormais déserté par le MR. Ces changements ont par ailleurs été incarnés par un recrutement important de nouveaux profils venus du privé ou de la société civile. Mais Les Engagé.e.s n’est pas pour autant un nouveau parti et encore moins un mouvement politique. Derrière l’inclusivité inédite du processus de transformation, les logiques de pouvoirs propres aux partis traditionnels belges comme européens subsistent. Plus encore, le contrôle accru du président de parti sur le processus de transformation et sa reconduction à la tête d’une organisation pyramidale obéissant aux mêmes logiques que celles du cdH ou du PSC de l’époque ont grandement contribué à la personnalisation du parti autour de sa personne, ainsi qu’à la désintermédiation des structures partisanes, deux défis majeurs posés à la démocratie représentative aujourd’hui.
Publication de référence : Legein, T., & Rangoni, S. (2024). Between Decline and Distress Innovations: The Transformation of the Belgian French-Speaking Christian-democratic Party (cdH).
Political Studies,
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doi: 10.1177/00323217241285360.
Images : "Logo du CdH", le CdH ; "Logo des Engagés", Les Engagés ; "Le point sur les assemblées citoyennes", Les Engagés ; "Maxime Prévot", RCF radio ; "Elisabeth Degryse aux côtés de président du parti Les Engagés, Maxime Prévot, ce jeudi", Belga.