Regard sur la représentation politique

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Pouvez-vous nous expliquer votre parcours et ce qui vous a poussé à faire de la science politique ? 

J’ai démarré mon bachelier en 2005 à l’Université de Liège, la réforme « Bologne » produisait ses tous premiers effets ; j’entrais donc dans le nouveau système complet en 5 années (3 bach+2 master). Mon choix pour la science politique fut incertain jusqu’à quelques mois avant mon inscription, ma seule certitude était de mener des études en sciences humaines et sociales. J’hésitais principalement entre l’histoire, l’économie et la science politique. Ce qui me passionnait était de comprendre comment s’organisaient les sociétés humaines. Comment assure-t-on une cohésion au sein de certaines sociétés alors qu’on observe - au contraire - des sociétés très divisées ailleurs, voire des conflits violents ? Pourquoi adopte-t-on certains modes de partage de ressources à certaines époques alors que d’autres instaurent le « chacun pour soi » ? Ce sont des questions qui m’ont toujours passionné dans mes études secondaires, surtout dans mes cours d’histoire, mais aussi dans mes cours de français (j’ai eu la chance d’avoir des professeurs qui nous incitaient à apprécier la littérature à la lumière du contexte politique et social de l’époque).

Mes études à l’Université de Liège (et en Erasmus à l’Université de Leicester) m’ont permis d’apporter toute une série de réponses. J’ai adoré mes études… mais elles ont surtout suscité une série de nouvelles questions. Et j’ai assez vite compris que la recherche me permettait d’exercer un métier-passion pour tenter d’apporter des réponses à toutes ces questions. J’ai donc poursuivi avec un Master of Arts complémentaire à la University of Kent, avant d’obtenir un mandat d’aspirant F.R.S.-FNRS à l’UCLouvain-ULiège en 2011. Par la suite, j’ai réalisé un postdoctorat à l’Université d’Oxford grâce au programme européen ‘Marie Skłodowska-Curie’. Je devais normalement revenir avec un mandat de chargé de recherches F.R.S.-FNRS à l’UCLouvain, mais j’ai finalement bifurqué en 2017 à l’Université de Namur grâce à un poste en politique belge et comparée qui s’alignait parfaitement avec mon profil.

Pouvez-vous nous synthétiser quelques enseignements de vos recherches ? 

Mon agenda de recherche s’est principalement focalisé sur les questions de représentation politique – selon plusieurs angles d’analyse.

Premièrement, j’ai étudié l’impact des processus historiques qui déterminent les schémas de recrutement de nos élus (leur profil sociologique et leur trajectoire de carrière). Comment la régionalisation en Belgique, en Espagne, au Royaume-Uni ou au Canada a changé les profils d’élus ? Comment l’européanisation transforme le Parlement européen en véritable arène de pouvoir de « premier ordre » ? Dans cette perspective, je me suis également intéressé à la manière dont ces processus historiques façonnent le comportement politique des représentants. Par exemple, comment les députés reproduisent à travers le temps des schémas d’activités parlementaires « genrés » entre hommes et femmes ?

Deuxièmement, j’ai étudié la représentation politique à la lumière du phénomène de la« personnalisation de la politique ». Avec mon collègue Jean-Benoit Pilet (ULB), nous avons notamment pu mettre en évidence l’importance des règles électorales (p. ex. type de scrutin ou modalités des votes de préférences) comme facteur déterminant dans la « présidentialisation de la politique » sur quelques leaders politiques.

Troisièmement, et c’est mon agenda actuel dans le projet POLSTYLE dans l’institut Transitions à l’UNamur,  nous étudions les évolutions du style politique dans un contexte de révolution digitale qui reconfigure la communication politique dans nos démocraties européennes. Y a-t-il une normalisation d’un style ‘trumpien’ hyper agressif et émotionnel qui attaque – voire insulte – son adversaire… et où la petite phrase prime souvent au détriment du débat d’idées ? Ce style politique est-il ‘réellement’ nouveau ou ‘typique’ des périodes de crise économique ou culturelle en démocratie ? Est-ce dangereux pour l’état de nos démocraties ? C’est un projet qui marie l’ancien et le moderne, avec des données empiriques historiques (p. ex. des archives de débats électoraux depuis les années 60) analysées avec des outils de pointe (p. ex. développement d’un algorithme pour traiter les contenus).

Nous sommes actuellement en période préélectorale, y a-t-il un enjeu en particulier de cette campagne que vous souhaiteriez commenter/que vos recherches pourraient éclairer ? 

Au cœur de mon intérêt pour la représentation politique se retrouve évidemment la question de la participation politique des électeurs et des électrices. En Belgique, vu le vote obligatoire, le taux de participation est élevé avec 85% en comparaison à d’autres démocraties européennes (avec 60 à 65% en Espagne ou Royaume-Uni). Néanmoins, il faut rester attentif à cette question, car ce taux baisse de manière quasi structurelle (depuis une vingtaine d’années, à chaque élection, nous perdons 1 à 2 points de pourcentages – surtout si on observe la participation ‘effective’ qui tient compte des votes blancs et nuls).

   

Pour les scrutins de juin 2024, il y a des chiffres que j’attends donc plus particulièrement : quelle sera la participation des 16-17 ans aux élections européennes après le capharnaüm sur le caractère obligatoire du vote (finalement acquis après la décision de la Cour constitutionnelle en février 2024) ? Pour le scrutin local d’octobre 2024, quel sera l’effet de la fin du vote obligatoire en Flandre pour les élections locales ? Ma crainte, c’est de voir se créer une démocratie à deux vitesses, avec des participations très inégales en fonction du type d’élection et/ou du profil de certains électeurs.

Comment voyez-vous la polarisation Nord-Sud évoluer dans les résultats électoraux ? Quels enjeux cela peut-il faire peser sur la formation d’un exécutif fédéral ?  

La polarisation nord-sud me semble avoir atteint un niveau déjà très élevé – peut-être même un plafond à certains égards. Au nord, le Vlaams Belang semble tout de même atteindre un seuil autour des 25-27% si l’on observe tant la trajectoire de ses scores historiques que les intentions de vote. Ce plafond est d’autant plus clair qu’il s’agit de vases communicants avec l’autre parti dominant et polarisant vis-à-vis du sud du pays : la N-VA. Au cours des 15 dernières années, lorsque l’un gagne, l’autre perd ; c’est très clair entre les scrutins et sur la base des enquêtes électorales. Ensemble, ils semblent concentrer au plus 45-47% des électeurs flamands. C’est évidemment très important, mais ils ne semblent pas véritablement en mesure de significativement dépasser ces scores (mais il faut toujours être très prudent en matière de ‘prédiction électorale’). Au sud, c’est comparable, le PS et le PTB ne semblent pas dépasser ensemble un score autour des 40-42%, leur réservoir maximal disponible avec vases communicants.

La question est toutefois plus ouverte : le PS va-t-il continuer à concéder au PTB alors que 2019 était déjà son pire score historique en Wallonie (26%) ? Si la polarisation semble avoir atteint des taux jamais égalés, en particulier avec la percée de partis protestataires de gauche comme de droite, cette polarisation présente tout de même un paradoxe remarquable en Belgique. Il existe indéniablement deux systèmes de partis très différents : avec une Flandre centre-droite et un parti d’extrême droite qui se profile comme le premier parti flamand, et un espace francophone centre-gauche avec un parti communiste en forme électorale. Tout semble opposer ces deux espaces électoraux, ces « deux démocraties » comme aime le décrire BDW.

Toutefois, lorsqu’on analyse les préférences des électeurs flamands et francophones sur des politiques publiques spécifiques (économie, environnement, pension, immigration…), les convergences sont bien plus fortes que ne le laisse suggérer cette hyper polarisation des partis. Selon l’enquête interuniversitaire de 2019, on observe clairement qu’à quelques exceptions notables (p. ex. la politique migratoire), électeurs flamands et francophones sont en fait bien plus consensuels qu’il n’y parait en matière économique, environnementale, énergie, débats éthiques… C’est un paradoxe de taille en Belgique : la confrontation de deux blocs est principalement le résultat dynamique de compétition entre leaders politiques.

Images: By Getty Images; By Contrepoints; "Election in Belgium" by Andriano.cz.; "By Belga.