L’étonnante plasticité des partis politiques : un phénomène « boule de neige » au MR

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« Dans un environnement en constante évolution, beaucoup d’éléments doivent changer pour que les choses restent les mêmes » Cette citation révèle le paradoxe que constitue l’extrême stabilité apparente des partis politiques traditionnels, ou « historiques » (socialistes, chrétiens-démocrates et libéraux), au regard des défis auxquels ils font face depuis maintenant des décennies.

En Belgique, comme dans la majeure partie de l’Europe de l’Ouest, les adhérent·e·s désertent les partis en masse. Le poids électoral cumulé des trois familles traditionnelles s’est continuellement étiolé pour ne plus atteindre que 44,9 % en 2019. Les scandales politico-financiers émaillent régulièrement leur image et le risque d’être renvoyés dans l’opposition fait planer sur eux le danger d’être coupés de ressources stratégiques vitales. Pourtant, ces partis restent les acteurs centraux de notre système politique, n’opérant visiblement de réelles adaptations de leur programme, organisation ou personnel politique qu’en de très rares occasions.

Les partis sont généralement vus comme des organisations naturellement réfractaires au changement, à moins que leur survie ne soit fâcheusement menacée. Mais si l’on délaisse les questions de quand et pourquoi les partis changent, au profit de la question du comment ces partis parviennent à continuer d’afficher une telle stabilité, une autre histoire se dessine. Si la transformation du cdH en Les Engagé.e.s en constitue le dernier exemple, les réformes adoptées par le Mouvement Réformateur (MR) entre 2019 et 2022 illustrent à la perfection comment un simple fait politique a provoqué une séquence d’adaptations selon moi plus commune, plus large et plus complexe que l’on ne le pense. Explications.

Ouvrir la boite noire du MR

Le départ des deux figures tutélaires libérales qu’étaient Charles Michel et Didier Reynders créa indubitablement un vide de leadership à la tête du parti en 2019, terreau toujours fécond de changements importants. Mon hypothèse était alors que cette élection allait elle-même générer de nouveaux défis pour le parti, dès lors contraint de procéder à des adaptations supplémentaires. Dans mon article, j’ai donc proposé et testé l’utilisation d’un nouvel outil analytique allant dans ce sens : les paquets de réformes. Il part du principe que toute réforme partisane fait partie d’une dynamique plus large devant être étudiée comme telle si nous voulons être en mesure de révéler l’ensemble des dynamiques complexes qui la sous-tendent.

J’ai donc entrepris d’interviewer 16 acteur·trice·s majeur·e·s du parti libéral afin d’avoir leur point de vue sur la séquence qui se jouait alors. En croisant ces interviews avec des documents originaux du parti et une revue de presse, j’ai ainsi pu identifier qui étaient les agents à la manœuvre ainsi que les mécanismes mis en œuvre pour arriver à leur(s) fin(s). Il s’agissait donc de retracer une séquence d’événements de son point final (l’adoption de nouveaux statuts par le parti en septembre 2021) jusqu’à son point de départ (l’élection de Bouchez en novembre 2019). Entre les deux, le parti a procédé à la réorganisation de sa cellule (et contenu) de communication (janvier-décembre 2020) avant de voir une fronde interne tenter d’imposer la création – dans les faits non actée – d’un nouveau comité chargé d’encadrer la présidence d’un Bouchez trop puissant (octobre 2020).

Un étonnant effet boule de neige

Ce que l’analyse a tout d’abord révélé est le rôle crucial joué par deux personnalités ainsi que l’étonnante passivité des autres poids lourds du parti pesant pourtant traditionnellement sur de tels processus internes.

D’une part, Charles Michel a fait preuve d’une grande capacité de planification, d’adaptation et de négociation pour assurer une stabilité à son parti lors de son départ. S’il avait dans un premier temps choisi Willy Borsus – figure consensuelle – pour lui succéder, ce dernier a refusé, ouvrant ainsi la porte à une élection interne classique. Michel a dès lors fait le tri dans les candidat·e·s potentiel·le·s avant d’assurer l’appui de l’appareil du parti à Georges-Louis Bouchez : « Quand vous voulez faire fonctionner une grande machine, c’est la responsabilité de celui qui a assumé un rôle de président de parti de ne pas laisser la maison en bordel en partant. » (Itw 12, confirmé par Itw 5, 17 et 13)

D’autre part, Bouchez est parvenu à s’imposer comme le candidat du moindre mal entre les factions michelienne et reyndersienne à l’aide de consultations intenses. Une fois légitimé par son élection et le soutien des cadres du parti, il a alors pu tranquillement planifier le remodelage « de sa fusée » (interview 7, septembre 2021). Sa première réforme a été sa prise en main totale de la communication du parti. Pour justifier cela, il a instrumentalisé la nécessité pour le parti de refaire valoir ses valeurs libérales tout en « mettant le paquet pour réattirer de nouveaux membres » (interview 7, septembre 2021). Face à une fronde interne suite à cette concentration de pouvoir inédite et un casting ministériel raté en 2020, il a dénoncé la tradition « libérale » de ne pas respecter les statuts du parti, justifiant par la même occasion la nécessité de les renouveler tout en, paradoxalement, : « […] faisant attention au décalage parfois nécessaire entre les règles écrites et le fonctionnement réel d’un parti qui ne devrait pas être entravé par une multiplication de mesures qui ne seraient, en fin de compte, pas utilisées. ».

Mais ce que l’analyse a surtout mis en avant est l’existence d’un effet boule de neige trop souvent ignoré dans la littérature traditionnelle. Chronologiquement, chaque nouvelle adaptation du parti s’est avérée nécessaire dans le déroulement de la suite de la séquence. Le timing et la nature de chaque réforme ne peuvent en effet être expliqués que par le timing et la nature de la réforme précédente. Mon argument est que de tels enchainements existent dans bien d’autres cas.

 

La nécessité de mieux appréhender les réformes partisanes

Objets souvent décrits comme immobiles, voire en décrochage sociétal flagrant, les partis font pourtant preuve d’une plasticité impressionnante pour survivre à des contextes politiques internes et externes extrêmement challengeants. Ce que les résultats de ma recherche démontrent est la complexité des dynamiques qui sous-tendent tout processus d’adaptation partisane dans lesquelles une grande variété d’acteur·trice·s aux valeurs, idées et croyances différentes peuvent intervenir. Expert·e·s et observateur·trice·s ont tendance à résumer la modernisation des partis politiques à des adaptations esthétiques à un événement politique en particulier. À contrario, mon argument est qu’il est impératif de prendre en compte la réalité multidimensionnelle de ce que veut dire pour eux changer pour exister si l’on veut pouvoir trouver des solutions pour qu’ils continuent de changer, mais en mieux.

Publication de référence : Legein, T. (2023). Understanding how bundles of party reforms are shaped: A snowballing sequence in the French-speaking Belgian liberal party (MR). Party Politics, 0(0), 1-14.

Images: By Photo News; Graphique fourni par Thomas Legein; "Meeting of the North Atlantic Council (NAC) at the level of Heads of State and/or Government" licensed by CC BY-NC-ND 2.0 ; "Wind-formed snowball" licensed by CC BY-NC-ND 2.0.