Au fil des dernières décennies, la politique a été marquée par des transformations profondes. Parmi les phénomènes associés à ces mutations, le concept de polarisation , qui décrit le processus de division croissante entre groupes politiques et sociaux, est souvent mobilisé pour décrire nos sociétés actuelles, et nourrit les inquiétudes concernant la dégradation du débat démocratique. Par ailleurs, au sein des systèmes de partis Ouest-Européens, les partis dits ‘populistes ’, principalement du fait de leur
opposition du ‘peuple pur’ à ‘une élite corrompue’, en particulier ceux de droite, ont gagné en influence, certains allant même jusqu’à rejoindre des exécutifs nationaux. Ces acteurs sont souvent accusés de nourrir les oppositions entre élites politiques et citoyens, mais également l’animosité entre des groupes sociaux qui se sentiraient de plus en plus éloignés les uns des autres. Enfin, la généralisation des réseaux sociaux comme outil de communication politique privilégié contribuerait également à asseoir la domination d’acteurs
anti-establishment, et ainsi encourager la polarisation de l’opinion publique.
Discours populistes en ligne : diviser pour mieux régner ?
Dans notre étude, nous nous sommes intéressés à la manière dont les élites politiques belges cultivent différents types d’opposition dans leur discours sur le réseau social X, souvent décrit comme particulièrement polarisé. Plus précisément, nous tentons de clarifier comment les partis qualifiés de « populistes », c’est-à-dire le PTB-Pvda et le Vlaams Belang, cultivent deux types d’opposition dans leur discours :
l’une verticale, qui confronte le peuple aux élites politiques ; et l’autre horizontale, qui oppose entre eux différents groupes dans la société. En nous appuyant sur la
théorie de l’identité sociale de Tajfel et Turner, et celle des « appels aux groupes », notre article examine dans quelle mesure les partis populistes de gauche (PTB-Pvda) et de droite (Vlaams Belang) nourrissent ces deux types d’antagonismes dans leur communication en ligne, et contribuent potentiellement à populariser ces lectures binaires de la réalité sociale (et politique) auprès du grand public.
Post de Tom Van Grieken (VB) opposant les élites politiques aux citoyens (16/01/2023).
La théorie de l’identité sociale considère que les relations entre groupes sont socialement construites, et met ainsi en avant la centralité des normes sociales, et surtout des traits distinctifs des différents groupes sociaux dans la formation de nos identités. Par conséquent, les identités de groupes façonnent nos interactions, et peuvent de ce fait être exploitées par les acteurs politiques. Toujours selon cette théorie, la fragmentation de la société en groupes, et la compétition entre ces groupes peuvent nous aider à maintenir une “identité sociale positive”. Il est donc dans l’intérêt des partis de signaler clairement quels sont les groupes auxquels ils souhaitent associer l’identité de groupe de leur parti, mais également ceux qu’ils considèrent comme nuisibles, ou responsables des maux de la société.
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Afin de faire la lumière sur ce phénomène, nous avons analysé quantitativement le contenu du discours des partis politiques belges et de leurs président·e·s sur le réseau social X. En tout, nous avons scruté (et codé) les publications des 13 partis représentés au parlement fédéral et de leurs président·e·s sur une période de 13 mois, de janvier 2023 à janvier 2024, pour un total de 12,303
posts. Nos attentes étaient triples. Premièrement, les références aux groupes auxquels un parti s’associe, et le dénigrement des groupes jugés « extérieurs » au parti devraient être plus présents dans les messages des partis dits populistes que dans ceux des partis non-populistes. Deuxièmement, nous estimons que les partis populistes devraient opposer entre eux certains types de groupes, à la fois verticalement et horizontalement. Troisièmement, la nature de ces appels de groupes devrait être déterminée par leur idéologie respective : le socialisme d’un côté, et le nativisme de l’autre.
… et dénigrer pour convaincre
Nos résultats montrent que les partis populistes, et surtout le Vlaams Belang, sont effectivement plus susceptibles de dénigrer les groupes desquels ils souhaitent se dissocier que les autres partis politiques, ce qui confirme notre hypothèse selon laquelle les partis populistes utilisent davantage le dénigrement des groupes qu’ils considèrent comme « extérieurs » dans leur communication en ligne. Cela concerne d’ailleurs davantage les populistes de droite (VB) que ceux de gauche (PTB-Pvda). Nous démontrons également l’effet combiné du populisme et de l’appartenance du parti à l’opposition ou à la majorité. En effet, si les partis populistes font plus référence que les autres partis au « peuple », les partis de la majorité sont également plus enclins à s’adresser à celui-ci dans leur communication sur X.
Cependant, les partis populistes, qu’ils soient de gauche ou de droite, ne sont pas nécessairement plus susceptibles d’opposer le peuple aux élites politiques, et donc à souligner une polarisation verticale marquée entre ces deux groupes. En matière d’opposition horizontale, entre groupes sociaux donc, c’est surtout la nature des appels aux groupes qui varie entre populistes de gauche et de droite, en lien avec leurs idéologies respectives. Le PTB-Pvda tend à opposer des groupes économiques, tels que les travailleurs et les syndicats aux plus riches, tandis que le VB se concentre sur des groupes basés sur le nativisme (ethnolinguistique), opposant par exemple le « peuple flamand » aux migrant·e·s. Les partis populistes font donc surtout appel aux groupes dont ils convoitent le soutien. Rien de bien surprenant.
Pour conclure, notre étude démontre que les partis populistes en Belgique utilisent bel et bien les réseaux sociaux à des fins de polarisation dans leur communication, en favorisant d’une part les groupes auxquels ils souhaitent associer l’image de leur parti, et auxquels ils destinent leur politique ; et d’autre part en dénigrant les groupes qu’ils tiennent pour responsables des maux de la société, le tout selon leur propre lecture idéologique de la réalité sociale. Nos résultats confirment donc que si les partis populistes exploitent bel et bien les réseaux sociaux pour accentuer la polarisation horizontale, ces partis ne cultivent pas nécessairement son équivalent vertical plus que d’autres partis d'opposition.
Publication de référence : Kins, L., Jacobs, L., & Close, C. (2024). Favoring ingroups, derogating from outgroups: how populist parties in Belgium polarize on social media.
Acta Politica, 1-22. DOI :
10.1057/s41269-024-00368-0.
Image : PxHere.