Entretien avec Valérie Glatigny, Ministre de la Recherche scientifique

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Un entretien avec Valérie Glatigny.

Quelle est votre vision de la science politique? Quel rôle sociétal devrait selon vous jouer la science politique dans la Belgique contemporaine?

Valérie Glatigny: Je pense que la recherche en science politique joue un rôle d’éclairage vraiment fondamental dans notre pays, particulièrement en raison de la complexité du système institutionnel belge. Le rôle de vulgarisation joué par les chercheurs est précieux, car il permet aux citoyens de comprendre les enjeux politiques et institutionnels et d’effectuer, ensuite, des choix électoraux en toute connaissance de cause. Je dirais qu’au même titre que les épidémiologistes, qui jouent un rôle de premier plan pour l’instant, les chercheurs en science politique sont eux aussi constamment sur le devant de la scène. Nous avons de grands experts en droit constitutionnel, par exemple, et de grands politologues qui sont en permanence présents dans les médias, parce qu’il faut expliquer en permanence la complexité de notre pays, dont l’architecture institutionnelle est mouvante.

On voit encore de nouvelles organisations ou des réorganisations avec la crise sanitaire – je pense au Codeco, par exemple. On voit le centre de la décision politique bouger et de nouvelles formes d’organisation apparaitre pour la prise de décision: c’est un processus dynamique et organique. Dans ce contexte, les chercheurs jouent un rôle vraiment fondamental. Aujourd’hui, la science politique même si elle le fait déjà, doit peut-être encore davantage travailler main dans la main avec d’autres disciplines. Les projets transdisciplinaires sont fondamentaux.

Vous évoquiez le concept de transdisciplinarité. Une crainte qui était assez présente au sein de la science politique, récemment, était liée à la mise en avant des filières STEM. Pensez-vous que ces craintes soient justifiées, ou s’agirait-il plutôt d’une incompréhension, d’un malentendu?

Valérie Glatigny: Ce qui est important pour moi, c’est qu’il n’y ait pas de financements in abstracto, mais qu’ils soient liés à des enjeux identifiés dans la Déclaration de politique communautaire, c’est-à-dire des priorités du gouvernement que le citoyen peut lire et dont il peut prendre connaissance. Un objectif, outre celui de transparence et de bonne gestion des deniers publics, est de mettre en avant les filières STEM, parce qu’elles sont  encore trop peu choisies par les étudiants. Cela pose des problèmes, par exemple pour nos entreprises. Cela prive aussi certains étudiants de métiers intéressants avec des débouchés, puisque ce sont souvent des métiers en pénurie. Cela ne met évidemment pas en péril les sciences humaines: nous voulons simplement attirer, avec le gouvernement, l’attention des jeunes sur le fait que certaines filières qui sont de qualité et génératrices d’emplois sont trop peu fréquentées par les étudiants, et en particulier par les jeunes femmes.

Je suis détentrice d’une licence en philosophie. Je suis consciente de l’importance fondamentale des sciences humaines, puisque je viens précisément de là. Après, j’ai décroché un diplôme d’études complémentaires en éthique biomédicale, donc je situe vraiment à l’intersection entre les sciences humaines et les sciences exactes. Vous ne me trouverez pas dans le camp de ceux qui pensent qu’il faut désinvestir dans le domaine des sciences humaines ou des sciences politiques pour investir davantage dans les sciences exactes. Je considère ma formation de philosophe comme un atout, particulièrement dans le contexte de crise qu’on connaît depuis deux ans. Je pense que cela m’a appris à être prudente, à ne rien considérer comme acquis. On sait qu’avec le virus, on a dû faire des allers-retours constants. Nos certitudes ont été balayées à plusieurs reprises.

Ma formation de philosophe, j’en suis très fière, et j’estime que je ne serais pas qui je suis sans elle, donc j’encourage tous les étudiants à suivre une formation comme celle-là. Mais il se fait que sociétalement, nous avons un problème particulier, qui est un désinvestissement dans les filières STEM par rapport aux autres pays européens, et ce n’est pas parce qu’on remplit un pot qu’on en vide un autre, parce qu’avec la démocratisation de l’enseignement supérieur, on voit plus d’étudiants dans l’ensemble des filières. Tous les étudiants ne savent pas forcément que certaines filières sont de qualité, porteuses et génératrices d’emploi. Il n’y avait pas d’autre enjeu que celui-là. Il ne s’agit donc pas d’un gâteau où, si l’on prend un morceau, l’autre en aura moins.

Vous avez parlé de votre formation en philosophie qui a contribué à faire la personne que vous êtes. En quoi votre formation de philosophe a-t-elle contribué à forger la ministre que vous êtes?

Valérie Glatigny: C’est difficile de porter un regard sur soi-même.  Je pense que je ne suis en général pas du côté de ceux qui disent "il faut, il n’y a qu’à et on a la solution jusqu’à la fin des temps". Ça désarçonne parfois certainement mes collaborateurs, parce que je prends beaucoup de temps avant de prendre une décision. J’écoute, je doute, je reviens en arrière, je relis quatre-cinq fois la note. Puis à un moment donné, je tranche, je vous rassure. J’ai un peu la culture du doute, mais à un moment donné, on doit trancher sur la base de valeurs qui nous servent évidemment de boussole.  J’essaie, et je ne réussis peut-être pas toujours, de ne pas être dogmatique.

Je pense également que les grandes théories doivent se confronter à la réalité, et donc parfois on vous dit "ah ça c’est libéral", ou "ça ce n’est pas libéral". Je pense que parfois il ne faut pas utiliser un prisme a priori, il ne faut pas toujours lire la réalité avec des lunettes idéologiques. Il faut accepter la réalité pour ce qu’elle est, et puis, ensuite, essayer de trouver des solutions sur le terrain avec des balises. Les valeurs du libéralisme, j’y crois profondément: la liberté, l’égalité des chances au départ, c’est ça qui me guide. Je pense qu’il ne faut pas aller avec des a priori, en disant "ça c’est libéral, cela ne l’est pas". Il faut prendre la réalité dans toute sa complexité. C’est ce que j’essaye de faire au quotidien.

À une époque où en France, par exemple, il y a eu de récentes attaques sur l’islamo-gauchisme dans les universités, ou encore en Europe de l’Est, avec les attaques sur les recherches en genre, que pensez-vous de l’état des sciences humaines à l’aube de 2022?

Valérie Glatigny: La liberté académique doit être défendue. En tant, que Ministre de l’Enseignement supérieur, je suis particulièrement sensible à cette question. Il ne faut pas influencer les objets de recherche. En tant que politique, je mets en place les conditions pour que les recherches soient, dans les limites du possible, correctement financées. Mais il ne m’appartient pas d’en définir les objets.  Nous avons eu ce débat dans le cadre de la réforme de la formation initiale des enseignants. On nous demandait d’inclure toute une série de priorités qui étaient toutes plus intéressantes et importantes les unes que les autres.

Il fallait par exemple former à la lutte contre le harcèlement, à la lutte contre le racisme, aux compétences numériques, l’égalité homme-femme, la lutte contre l’homophobie, etc., c’était sans fin. Ce que nous avons dit, c’est que les établissements et les professeurs, qui sont des professionnels, doivent déterminer eux-mêmes l’objet de recherche et ce qui doit faire partie du cursus d’une formation d’enseignant. C’est ici un peu la même logique qui nous guide : il faut respecter la liberté académique. Ce sont les académiques eux-mêmes qui déterminent leurs champs de recherche. C’est un principe que, en tant que libérale, je souhaite vraiment respecter autant que possible. Vous ne me trouverez pas dans le camp de ceux qui vont essayer d’infléchir les recherches menées dans un sens ou dans un autre.

Le monde de la recherche reste un univers particulièrement masculin, de quelle manière pourrions-nous aboutir à une féminisation accrue de la recherche?

Valérie Glatigny: On sait bien que la recherche arrive en fin de parcours dans un parcours académique. Je veux dire qu’elle arrive en fin de parcours d’une personne qui a déjà vingt-cinq ans, voire plus, à 30 ans. Il est important de commencer à promouvoir l’égalité hommes-femmes très tôt. Cela commence déjà en maternelle, en apprenant à "dégenrer" les jouets. Je vais vous raconter une anecdote: quand ma nièce de 11 ans m’a dit que sa matière préférée, c’étaient les mathématiques et qu’elle était très forte en mathématiques, tout le monde autour d’elle a directement réagi: "Ah c’est vrai ? Les petites filles sont plutôt littéraires". Pour ma part, je l’ai encouragée à continuer. Je pense qu’il faut continuer, à toutes les étapes de la scolarité d’un jeune, à mettre en avant des rôles-modèles, des modèles féminins.

On prend toujours la figure de Marie Curie, mais c’est peut-être plus intéressant de parler aujourd’hui de Yaël Nazé, par exemple, qui comme vous le savez, est une astrophysicienne de talent, et qui travaille à l’Université de Liège. Des figures qui vont peut-être inspirer les petites filles d’aujourd’hui. Je suis convaincue qu’on fonctionne un peu par imitation dans tous les domaines. Quand on a une Première ministre femme comme Sophie Wilmès, ça attire peut-être davantage de petites filles vers la carrière politique, de la même façon que quand on voit Nafissatou Thiam performer comme championne olympique, des filles qui se mettent à l’athlétisme. On commence d’ailleurs aussi à avoir une approche dégenrée des pratiques sportives. Traditionnellement, les garçons font du rugby et les filles de la dance. Depuis peu, le président de la Fédération francophone de rugby est une présidente.

C’est un travail qui doit concerner tous les domaines de la société. À l’âge de trente ans, on voit peut-être davantage de femmes chercheuses. On sait qu’il y a un point d’attention quant au fait que les chercheurs, à un moment donné dans leur parcours, font un séjour à l’étranger et que donc ça peut être donc un peu plus difficile pour une femme de partir à l’étranger si elle a une charge de famille. Il faut tabler sur le fait que le partenaire va assumer lui aussi une part des tâches. C’est un changement complet par la société qui est en cours et j’espère voir toujours davantage de femmes effectuer une carrière dans la recherche.

L’entretien a été mené le 18 Janvier 2022.

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Valérie Glatigny est Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Promotion sociale, de la Recherche scientifique, des Hôpitaux universitaires, de l’Aide à la jeunesse, des Maisons de Justice, de la Promotion de Bruxelles, de la Jeunesse et du Sport, au sein du gouvernement de la Communauté française.

 

L'entretien a été réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du Parlement de Wallonie.