Un effet “boule de neige”? Analyse de l’impact des scandales politiques locaux sur la confiance politique des citoyen·nes en Belgique

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Un billet de Caroline Close, Jérémy Dodeigne, Sofie Hennau et Min Reuchamps.

Les scandales politiques: un phénomène fréquent.

Les mois qui ont précédé les élections locales de 2018 ont été marqués par une série de scandales au niveau communal et intercommunal (notamment: Publifin en Wallonie, PubliPart en Flandre, SamuSocial à Bruxelles). Ces "affaires" ont laissé entendre que des personnalités politiques locales de premier plan, issues de divers partis de gouvernement, avaient utilisé leur mandat public afin de percevoir des paiements indus et excessifs, via notamment des "jetons de présence" pour leur participation (réelle ou fictive) dans diverses compagnies publiques.

Ces affaires ne sont toutefois pas un particularisme belge. Les scandales politiques éclatent régulièrement dans les démocraties et peuvent être de natures variées – par exemple, conflits d’intérêts, corruption, affaires de mœurs, etc. Ils contribuent à véhiculer une image négative des hommes et femmes politiques auprès des citoyen·nes et peuvent même modifier leurs attitudes et comportements politiques.

Dans notre article "A scandal effect? Local scandals and political trust", nous nous sommes intéressés à l’impact des scandales locaux sur la confiance politique des électeur·rice·s. L’originalité de notre contribution fut d’analyser si de tels scandales avaient un effet "circonscrit" au niveau local, ou si un effet "boule de neige" était observé pour l’ensemble des autres niveaux de pouvoir.

Les effets supposés des scandales sur la confiance politique

Des études menées dans des démocraties occidentales montrent que l’irruption de scandales et leur traitement médiatique peuvent affecter les résultats d’une élection et influer sur la manière dont les citoyen·nes évaluent et perçoivent les candidat·es, mandataires et partis politiques. Certaines recherches mettent en avant l'existence d'un effet "boule de neige" des scandales, finissant par affecter l'ensemble de la classe politique, tandis que d'autres pointent plutôt la capacité des électeurs à faire preuve d'une évaluation différenciée entre institutions responsables des scandales et celles non-responsables. Par ailleurs, certaines études démontrent que l’effet des scandales peut varier d’un individu à l’autre ; en fonction de leur exposition aux médias, de leur opinion politique ou encore de leurs perceptions initiales des hommes et femmes politiques.

Sur base de ces constats, nous avons construit une série d’hypothèses. Premièrement, nous nous attendions à trouver un niveau de confiance politique plus faible dans les communes touchées par un scandale. Deuxièmement, nous avons fait l’hypothèse que la confiance dans les institutions locales (collège des échevin.es et bourgmestre) serait plus affectée que la confiance dans les gouvernements de niveaux de pouvoir "supérieurs" (régional et fédéral). Troisièmement, nous avons voulu tester si les scandales affectaient la confiance dans les institutions locales plus particulièrement chez les citoyen·nes ayant des perceptions particulièrement négatives des personnalités politiques locales – ou au contraire, si les scandales affectaient la confiance de ceux et celles ayant des perceptions plutôt neutres ou positives.

L’enquête électorale Local Election Study (2018)

L’enquête électorale de 2018 a permis de collecter des données d’opinion auprès de 3978 répondant·es dans une quarantaine de communes réparties dans les trois régions, dont neuf directement touchées par un scandale dans les mois précédents l’élection. Ces données nous ont permis de tester le lien entre l’existence d’un scandale au niveau communal et le degré de confiance que les électeur·rices accordent à leurs institutions locales, régionales et fédérales.

Nous avons mesuré la confiance politique via une question demandant aux répondant·es d’exprimer leur degré de confiance, sur une échelle de 0 (confiance nulle) à 10 (grande confiance), concernant quatre institutions politiques: le gouvernement fédéral, le gouvernement régional, le gouvernement local (collège communal), et le·la bourgmestre. Afin de mesurer la manière dont les répondant·es perçoivent leurs élu·es locaux·ales, nous leur avons demandé de s’exprimer, sur une échelle de 0 (pas du tout d’accord) à 10 (complètement d’accord) sur cette affirmation: "Les hommes et femmes politiques de ma commune utilisent leur pouvoir pour servir leurs intérêts personnels".

Il faut noter que ces données nous permettent de souligner un lien statistique entre scandales politiques et confiance politique, mais non d’affirmer un lien de causalité directe. Il nous aurait fallu pour cela mesurer la confiance des citoyen·nes avant et après l’irruption de chaque scandale politique – un exercice difficile, car on ne peut prédire ce type d’évènement.

Les scandales affectent la confiance politique de manière différenciée

Tout d’abord, les données révèlent que les niveaux de confiance sont significativement plus bas dans les communes où se sont produits des scandales (voir Tableau 1) ; et l’écart est plus important lorsqu’on considère la confiance dans le gouvernement communal et dans le·la bourgmestre. Notons que, comme dans d’autres études, le niveau de confiance est lié à la "proximité" des institutions: la confiance est plus élevée dans le niveau local, niveau le plus "proche" du citoyen, même lorsque la commune est touchée par un scandale.

Tableau 1. Effet de l’occurrence d’un scandale politique communal sur le niveau de confiance politique des électeurs et électrices.

Ensuite, nous avons voulu tester si l’effet des scandales pouvait varier au niveau individuel. Premièrement, nos résultats montrent que l’occurrence d’un scandale dans la commune diminue significativement la confiance dans les institutions locales, en particulier dans la personne du bourgmestre, mais n’affecte pas la confiance aux niveaux de pouvoir supérieurs (gouvernements régional et fédéral). Ces résultats tendent à prouver que les citoyen·nes sont capables de différencier entre les institutions et personnalités politiques qu’ils estiment responsables ou non des "affaires" qui ont précédé le scrutin communal de 2018.

Deuxièmement, nous avons observé que les scandales affectent la confiance dans les institutions locales particulièrement chez les répondant·es qui perçoivent négativement les personnalités politiques locales. En d’autres termes, nos analyses suggèrent que les scandales ont un effet préjudiciable sur la confiance politique, en particulier auprès des citoyen·nes qui avaient déjà une vue "désenchantée" concernant l’attitude des mandataires politiques. Ce résultat est particulièrement saillant en ce qui concerne la confiance dans le·la bourgmestre, suggérant un effet de "personnalisation" dans l’attribution de la responsabilité du scandale.

Regagner la confiance?

En conclusion, nos résultats indiquent que les scandales politiques locaux peuvent affecter la confiance politique, mais aussi que les citoyens sont capables d’identifier les "responsables" des scandales. La baisse de confiance est donc "circonscrite", dans notre étude, au niveau local. En outre, nos résultats soulignent l'importance des comportements éthiques des mandataires politiques pour limiter l’émergence d’un sentiment de méfiance envers la classe politique. La baisse de confiance politique n’est donc pas une fatalité, mais la conséquence de l’intégrité du personnel politique.

 

Publication de référence: Close, C., Dodeigne, J., Hennau, S., & Reuchamps, M. (2023). A scandal effect? Local scandals and political trust. Acta Politica, 58, 212–236.

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Caroline Close est professeure en science politique à l’Université libre de Bruxelles. Elle développe ses recherches au sein du Centre d’études de la vie politique (Cevipol) et de TRANSFO, centre interfacultaire sur le changement social basé à Charleroi. Ses travaux de recherche portent sur les partis politiques, les attitudes et comportements politiques, et les innovations démocratiques. Elle a publié ses travaux dans Party Politics, Acta Politica, Parliamentary Affairs et Political Studies et Representation.

 

 

 

Jérémy Dodeigne est professeur de sciences politiques à l’Université de Namur. Au sein de l’Institut de recherches Transitions, il mène des recherches sur la politique belge et comparée en particulier sur les processus électoraux (communal, régional et fédéral), ainsi que le comportement politique des mandataires en Belgique et en Europe. Il a été administrateur et le trésorier de l’Association belge francophone de science politique (2015-2018).

 

Sofie Hennau est professeure d’ administration publique à l’ Université de Hasselt. Au sein du groupe de recherche Research for Digitalization, Diversity and Democracy (R4D), elle développe des recherches sur la politique communale en Belgique, en particulier sur les innovations démocratiques et administratives et les relations politico-officielles. 

 

 

 

Min Reuchamps est professeur de science politique à l’Université catholique de Louvain. Il est diplômé de l’Université de Liège et de Boston University. Ses enseignements et ses recherches portent sur le fédéralisme et la gouvernance multi-niveaux, la démocratie et ses différentes facettes, les relations entre langue(s) et politique(s) et en particulier le rôle des métaphores, ainsi que les méthodes participatives et délibératives. Il a publié plusieurs dizaines d’ouvrages et articles sur ces thèmes. Il a été administrateur (2009-2018), secrétaire (2012-2015) et président (2015-2018) de l’Association belge francophone de science politique (ABSP).

 

 

Pictures: "170309 - Manifestations - Publifin (Parlement Wallon)"  by CGSP Admi Liège licensed under CC BY-NC-ND 2.0.; "Liasse de journaux" by Mr Cup/Fabien Barral, licensed under Unsplash.;"Fraude commerciale et concept d'injustice sociale, de corruption" by 89Stocker, licensed under Canva.