Un billet de Jean-Paul Gailly.
La mobilité dans et vers les grandes villes, particulièrement les métropoles, constitue un enjeu de taille pour les politiques publiques en ce début de XXIe siècle. Bruxelles, ville-région et bassin d’emploi drainant de nombreux "navetteurs" malgré le développement du télétravail, le vit quotidiennement. Son accessibilité par les différents modes de déplacement individuels ou collectifs et l’organisation de sa logistique sont des sujets de préoccupation permanents. La domination de cette préoccupation a entraîné par le passé des évolutions urbanistiques et infrastructurelles importantes, au point de menacer Bruxelles d’effacement en tant que ville.
L’inquiétude suscitée par le dérèglement climatique est venue renforcer l’attention portée par les décideurs politiques, les entreprises et les citoyens aux choix opérés en matière de mobilité et de logistique urbaine, et de qualité de vie en ville. L’aménagement de l’espace, ce bien rare si difficilement partagé, la gestion de l’infrastructure (eau, rail, route), l’organisation des différents modes de déplacement et des transports, notamment face à la congestion urbaine, sont dès lors au centre de multiples débats scientifiques, politiques et socio-économiques.
Pourtant, le rôle des différents acteurs publics concernés et l’organisation de la gouvernance en matière de mobilité à Bruxelles et dans sa zone métropolitaine demeurent souvent méconnus en raison de la complexité de la répartition des compétences entre différentes institutions publiques. C’est dans cette perspective qu’a été conçu le récent Courrier hebdommadaire du CRISP, dont nous reparcourons ici quelques éléments clefs. Après avoir approfondi les différents éléments du contexte dans lequel se situent les enjeux actuels de la mobilité en région bruxelloise, nous nous sommes attachés à expliciter les rôles et responsabilités des différents acteurs publics dont l’action paraît importante eu égard à ces enjeux. Nous montrons qu’ils sont loin de tous prendre place au sein du seul niveau de pouvoir régional bruxellois.
Nous avons abordé dans un premier temps les acteurs publics compétents en matière d’organisation de l’espace et de gestion de l’infrastructure. Nous avons identifié leur rôle précis, leur statut, leur mode d’organisation et la manière dont est structurée leur relation avec les autorités politiques, notamment en ce qui concerne l’existence (ou non) d’une dimension contractuelle. Ensuite, nous avons procédé à la même démarche pour les acteurs publics directement compétents en matière de mobilité et de transports.
La situation actuelle au plan strictement régional bruxellois paraît créer un certain flou dans la répartition des rôles et des missions. La conséquence en est que la collaboration entre les acteurs se fait parfois difficilement, la réalisation des arbitrages également, et la cohérence entre les politiques n’est pas vraiment assurée. Tout se passe comme si deux tendances de fond étaient à l’œuvre.
La première, initiée lors de la sixième réforme de l’État, vise justement à combattre la fragmentation des politiques en ce qui concerne les compétences respectives de la Région de Bruxelles-Capitale et des communes. À cet égard, le cadrage hiérarchique des normes paraît clair : le Plan régional de développement durable (incluant l’approche urbanistique), est la clé de voûte globale. Le Plan régional de mobilité "Good Move" et le Plan régional de stationnement en sont ensuite les traductions spécifiques, suivis des plans communaux de mobilité et de stationnement. Néanmoins, des difficultés d’articulation de la politique de mobilité avec les autres politiques (urbanisme, logement, économie, etc) demeurent. Des pratiques localistes persistent aussi lors de divergences entre la Région et une commune, allant jusqu’à des procédures en justice, comme dans le cas du plan de circulation du Bois de la Cambre. Donc, si la hiérarchisation des normes concernant la mobilité semble claire au départ, elle n’est toutefois pas dénuée de problèmes.
La seconde tendance, initiée au cours de la législature 2014-2019, débouche sur un éclatement de la gouvernance au plan régional. On assiste à la création de plusieurs nouveaux organismes (par exemple Perspective Brussels, Société d’Aménagement Urbain, Urban Brussels) allant de pair avec la scission d’organismes existants (par exemple la DG Urbanisme et le Logement du Service Public régional de Bruxelles). Ce mouvement, qui peut laisser certains observateurs perplexes, interroge quant à sa capacité à amener un réel gain d’efficacité.
La manière dont les relations entre le pouvoir politique et les organismes publics est organisée (ou non) handicape également la bonne gouvernance. Dans la sphère de l’espace, tous les acteurs publics régionaux (sauf la Société de Développement Régional de Bruxelles) sont placés sous la tutelle directe d’un membre du gouvernement régional bruxellois, mais sans fixation d’objectifs prioritaires ni clarification des moyens octroyés pour les atteindre.
Dans les sphères de l’infrastructure et de la mobilité, s’il existe des contrats de gestion pour une bonne partie des acteurs concernés, force est de constater qu’il n’y a pas de contrat d’administration avec Bruxelles Mobilité. Cette administration de la Région, chargée des équipements, des infrastructures et des déplacements, n’a pas non plus reçu de mandat clair quant à son rôle d’autorité publique de transport. Cela a un impact direct sur la manière dont l’approche souhaitée "mobility as a service" peut se déployer, puisque les opérateurs sont sans lignes directrices en la matière. Le mode de répartition des compétences au sein du gouvernement régional bruxellois n’incite pas non plus à la cohérence. En effet, les matières directement liées à la mobilité (Travaux publics, Mobilité, Port, Taxis, Sécurité routière) n’ont jamais été toutes confiées à un seul titulaire.
Au niveau métropolitain, c’est le même constat : on est encore (très) loin de la mise en place d’une communauté métropolitaine du transport, alors même que les défis sont multiples et importants. L’évolution de la politique de mobilité en Flandre pose également question : les moyens budgétaires du transport public sont en forte régression et menacent les projets conjoints élaborés par la STIB et De Lijn pour améliorer les liaisons entre Bruxelles et sa périphérie. Pourtant, les expériences positives et les analyses au niveau européen montrent que la gouvernance constitue un facteur critique de succès pour la fluidité de la mobilité, comme par exemple l’Autorité organisatrice du Transport à Vienne (Autriche). L'analyse menée par le SPF Mobilité et Transports au lendemain de la sixième réforme de l’État va dans le même sens : elle souligne le besoin d’une meilleure coordination des politiques de mobilité et conclut qu’il manque un mandat clair et un cadre de gouvernance qui garantissent la stabilité et la crédibilité, indispensables pour permettre des discussions et des arbitrages effectifs.
Comment arriver sans cela à une réelle mobilisation des acteurs, publics ou non, avec une «co-production» constructive et efficace? Comme le montre l’analyse du CRISP relative aux acteurs publics de la mobilité à Bruxelles, le passage du concept stratégique "mobility as a service", salué dans tous les discours politiques fédéraux et régionaux, à une pratique concrète de service aux usagers paraît bien incertain.
Publication de référence:
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Jean-Paul Gailly est Sociologue, membre du collectif éditorial de Politique, revue belge d’analyse et de débat. De 1999 à 2018, il a exercé des responsabilités dans le secteur de la mobilité (Cabinet Isabelle Durant, SPT Mobilité, Bruxelles-Mobilité).
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Pictures: "Tram 51" by jpplus60-ɿnɐd-uɐǝſ is licensed under CC BY-NC-ND 2.0.; Picture by Jean-Paul Gailly.; "Map Of Brussels/Brussel/Bruxelles" by clappstar is licensed under CC BY-NC 2.0; Picture by Jean-Paul Gailly.