calendar-icon 21 Oct 2022

Quand les partis politiques parlent d’Europe: nécessaire communication ou choix stratégique?

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Un billet d'Alban Versailles.

Le dernier événement marquant de la politique européenne s’est déroulé en Allemagne avec les élections fédérales du 26 septembre 2021. Ce scrutin revêtait une importance particulière sur la scène nationale car il marquait la fin de l’ère Merkel et un changement des rapports de force entre les principaux partis politiques du pays. C’était également une échéance cruciale sur la scène européenne, tant le rôle de l’Allemagne est important pour l’avenir de l’Europe et dans la définition des politiques menées par l’Union européenne (UE).

Cependant, de nombreux observateurs ont signalé que les enjeux européens étaient absents des débats lors de cette campagne électorale. Ce constat avait déjà été posé concernant les élections néerlandaises au printemps dernier: l’Europe semble être "l’éléphant dans la pièce", un enjeu majeur dont personne ne semble pourtant vouloir parler.

Ce constat peut paraitre paradoxal à une époque où l’Europe est un sujet souvent politisé et présent dans les débats publics. En effet, que ce soit le succès des partis eurosceptiques ou la campagne en faveur du Brexit au Royaume-Uni, l’Europe est parfois bel et bien au cœur des débats politiques. Dès lors, se pose la question de comprendre pourquoi les acteurs politiques choisissent (ou non) de communiquer sur les enjeux européens?

Nécessaire communication ou choix stratégique?

Pour comprendre pourquoi des acteurs tels que les partis politiques abordent les enjeux européens dans leur communication, deux perspectives s’affrontent. D’une part, parler d’Europe est considéré comme inévitable et nécessaire. L’UE a acquis progressivement une autorité de plus en plus large sur de nombreuses compétences. Les décisions européennes ont un impact sur de multiples aspects de la vie politique, sociale et économique des États membres et de leurs citoyens. Il paraît donc inévitable d’évoquer les enjeux européens dans les débats publics.

De plus, cette communication est nécessaire afin de donner de la visibilité aux enjeux européens. Sans cette visibilité, le risque est que les politiques européennes et le futur de la construction européenne soient décidés à l’abri du débat public et qu’ils ne jouissent donc que de peu de légitimité.

D’autre part, parler d’Europe peut représenter un risque ou une opportunité pour ces acteurs stratégiques. En l’occurrence, les partis politiques ne décideraient pas de communiquer sur l’Europe quand les décisions prises par l’Union européenne sont importantes, mais plutôt quand cela représente un intérêt pour eux.

Ainsi, par exemple, les partis eurosceptiques mettent l’accent sur l’Europe pour se distinguer de leurs adversaires alors que certains partis traditionnels évitent d’en parler car ils se savent divisés en interne sur ces questions. En parallèle, l’ensemble des partis sont attentifs à l’opinion publique à propos de l’Europe avant de décider s’il est opportun de communiquer à ce sujet.

Analyser la communication des partis sur Twitter

Afin d’étudier la communication des partis au sujet de l’Europe, j’ai récolté l’ensemble des messages publiés sur Twitter par 67 partis et leurs dirigeants dans 10 pays européens entre 2009 et 2019 (soit près de 2 millions de messages). Twitter est aujourd’hui devenu un outil crucial pour la communication politique et constitue un terrain pertinent pour étudier les choix et stratégies des partis. À l’aide de techniques d’analyse automatisée, j’ai pu ensuite identifier les messages à propos des affaires européennes.

Ces tweets qui parlent d’Europe ne représentent que 1% à 6% du corpus, en fonction d’une définition étroite ou plus large des affaires européennes. Malgré ce nombre relativement faible, mes analyses démontrent que ces messages se concentrent à des moments-clés de la gouvernance européenne. Ainsi, les partis donnent de la visibilité à ce sujet lors des sommets européens, des séances plénières du Parlement européen et des principales prises de parole de la présidente de la Commission européenne.

Cette augmentation des tweets à propos de l’Europe est encore plus importante au moment des élections européennes (illustré par le graphique 1) et du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union. Ces résultats montrent que, dans une certaine mesure, les partis communiquent sur les affaires européennes lorsque c’est nécessaire.

Graphique 1. Nombre de tweets sur l’Europe publiés par parti et par semaine à l’approche des élections européennes et nationales

Cependant, d’autres résultats provenant de mes analyses viennent nuancer ce constat. En effet, s’ils parlent bien d’Europe à l’approche des élections européennes, les partis sont beaucoup moins actifs sur Twitter que lors des scrutins nationaux. De plus, les partis tendent à diminuer la fréquence de leurs communications à propos de l’Europe à proximité des élections nationales (illustré par le graphique 1). Ceci confirme que l’Europe demeure souvent un "éléphant dans la pièce" lors des scrutins nationaux.

Ces résultats montrent que les partis ne s’engagent pas véritablement dans des débats à propos des affaires européennes lorsque c’est le plus nécessaire, au moment des élections. Pourtant, les élections européennes et nationales sont toutes deux importantes pour les affaires européennes, car les parlementaires européens et les gouvernements nationaux ont des rôles cruciaux dans les processus décisionnels européens.

Ensuite, mes analyses montrent que les partis sont aussi des acteurs stratégiques quand ils décident de communiquer sur l’Europe. La probabilité qu’un tweet concerne les affaires européennes est bien plus élevée si son auteur est un parti reconnu pour avoir une position particulièrement eurosceptique ou pro-européenne (illustré par le graphique 2).

Graphique 2. Proportion de tweets sur l’Europe publiés par les partis en fonction de leur position sur l’intégration européenne

Cet effet est encore plus marqué s’il s’agit d’un parti eurosceptique et challenger, ces partis n’ayant jamais participé à une coalition gouvernementale et pour qui l’Europe est un sujet qui permet de se distinguer de leurs adversaires. De plus, les partis ne veulent pas paraitre à contre-courant et ils s’adaptent aux communications de leurs adversaires ainsi qu’à l’opinion publique.

Un verre à moitié vide?

En comparant les résultats pour les différents facteurs expliquant pourquoi les partis parlent d’Europe, il apparait clairement que les motifs stratégiques sont les plus importants. Par exemple, la probabilité qu’un tweet soit au sujet de l’Europe est quatre fois plus élevée s’il est publié par un parti eurosceptique que s’il est publié lors d’un sommet européen par n’importe quel parti. Malgré la visibilité donnée au processus de décision européen par l’ensemble des partis, l’attention portée à l’Europe reste souvent le fait de quelques acteurs défendant des positions radicales sur le sujet.

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On ne peut pas dire aujourd’hui que les enjeux européens sont absents des débats publics ou que les décisions européennes sont prises totalement à l’abri des débats et de l’opinion publique. Cependant, le paradoxe est que l’attention portée à l’Europe par les partis politiques ne participe pas forcément à la nécessaire visibilité de la gouvernance européenne.

Au contraire, les motifs stratégiques priment et les enjeux européens demeurent souvent absents lors des élections nationales qui restent le cœur de la vie politique. Si l’on considère ces communications comme nécessaires à la légitimité de la gouvernance européenne, il est difficile de ne pas voir le verre à moitié vide.

Enfin, cette recherche s’est concentrée sur l’analyse du comportement des partis, mais d’autres acteurs du débat public ont aussi un rôle à jouer. Élus, médias, groupes d’intérêts ou organisations militantes, etc. peuvent également donner de la visibilité aux enjeux européens et ainsi contribuer à ouvrir le débat, en particulier lorsque des décisions cruciales sont prises au niveau européen.

Publication de référence:
Versailles A. (2021) Parties communicating Europe. Investigating why parties communicate on European affairs and how citizens react to these messages. Thèse de doctorat en science politique, UCLouvain.

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Alban Versailles est chercheur post-doctorant en sciences politiques à l’UCLouvain. Ses recherches portent sur les communications des partis et l’attitude des citoyens à propos de l’intégration européenne.

 

 

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