Un billet de Frauke Pipart.
En 2019, la Convention de Bâle a convenu d'un nouvel accord pour réglementer le commerce des déchets plastiques. Après une semaine de négociations intensives, les parties sont finalement parvenues à un accord. L'Union européenne (UE) s'est montrée très satisfaite de ces résultats, car sa position initiale et l’accord final étaient très similaires. Par ailleurs, pendant la conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique (CDB) en 2018, l’UE a également défendu des positions très ambitieuses, s’est montrée très active dans les discussions et est parvenue à avoir une grande influence sur les résultats finaux.
Mais comment expliquer le succès de l’UE, et quel rôle joue-t-elle dans les négociations? Au cours de ma recherche, je me suis intéressée aux facteurs qui peuvent expliquer le rôle de l’Union européenne dans les négociations environnementales internationales. Dans ces négociations, l'UE négocie en son nom ainsi que de ses États membres. Plus encore, l’UE aspire à être un leader en matière de politique environnementale, tant au sein de l'UE qu'au niveau international. Elle négocie comme un seul acteur, même si des représentant.es de tous les États membres sont généralement présents aux conférences aux côtés des négociateurs de l'UE.
Ma recherche a examiné des négociations dans différents accords internationaux dont les Conventions de Bâle, Rotterdam et Stockholm (BRS), la CDB et l'Assemblée des Nations unies pour l'environnement (UNEA). Ces conventions portent entre autres sur les questions de biodiversité, de pollution atmosphérique et de produits chimiques. Ces négociations sont par nature mondiales, car les problèmes environnementaux ne s’arrêtent pas aux frontières. En effet, si une rivière traversant une frontière est polluée, les deux pays sont touchés par cette pollution, même si un seul est responsable de la situation. J’ai concentré ma recherche sur ces enjeux moins connus, mais cruciaux pour l’état de l’environnement.
Dans un premier temps, j'ai étudié la manière dont l'UE est perçue par les participants européens et non européens aux négociations internationales sur base d’une enquête en ligne à grande échelle auprès des participants aux différentes négociations.
Pour bien saisir le rôle de l’UE, j’ai examiné trois dimensions: l'ambition, l'activité diplomatique et l'influence. Ces dimensions peuvent être comprises comme une séquence illustrant l'ensemble du processus de négociation de l'UE au niveau international. Premièrement, l'UE commence à négocier avec une position ayant un niveau d'ambition spécifique. Deuxièmement, l'UE s'engage dans des activités diplomatiques au cours des négociations. L’UE discute ses positions avec d’autres acteurs dans des négociations formelle et informelle, au sein de l’assemblée ou en petit groupe. Enfin, l'UE a potentiellement une influence sur le résultat final adopté lors des négociations.
Mes résultats illustrent le fait que l'UE est généralement reconnue comme un leader réformiste. Cela signifie que l'UE défend le plus souvent des positions très ambitieuses, qu'elle est très active et qu'elle réussit à influencer le résultat des négociations. Cette perception est confirmée tant par les délégués de l'UE que par ceux des pays tiers. Bien que l’on pourrait s’attendre à ce que les délégués de l'UE se perçoivent de manière plus positive que les personnes extérieures, cela n’est pas confirmé par les résultats (https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/jcms.13182).
Figure 1. Types de rôles de l'UE selon les participants aux négociations dans les trois cas étudiés, adapté de Ohler & Delreux (2021)
Pour expliquer le rôle de l'UE dans les négociations, j'ai mené plusieurs études, en me concentrant systématiquement sur une des dimensions du rôle. J'ai effectué des entretiens avec des délégué.e.s de l'UE, observé quelques négociations et analysé des documents, notamment des rapports de négociations. La triangulation de ces informations m’a permis d'expliquer l'ambition, l'activité diplomatique et l'influence de l'UE.
Plusieurs facteurs comme l’ambition, la saillance et la phase des négociations expliquent l'approche stratégique que l'UE applique dans les négociations. Une ambition élevée, une saillance élevée et des négociations en phase finale conduisent l’UE à utiliser des stratégies argumentatives ou de marchandage. Elle se montre donc moins ouverte aux propositions d’autres acteurs. Dans le cas contraire, où l’ambition et la saillance sont faibles et que les négociations débutent, l’UE est amenée à utiliser la résolution de problèmes comme approche. Ainsi, elle cherche la meilleure solution avec les autres acteurs et est prête à adapter sa position, si une proposition paraît préférable à ses idées initiales.
L’UE est généralement influente dans les négociations des conventions analysées. Mes résultats montrent que l'UE est influente dans tous les cas où elle présente une ambition élevée et est entourée de nombreux alliés. En revanche, lorsqu'elle présente une position peu ambitieuse et inflexible, elle ne parvient pas à influencer le résultat. Mes résultats montrent aussi que l'UE dépend assez fortement de ses partenaires de négociation. En effet, elle est un acteur clé des négociations environnementales internationales, mais dans presque tous les cas, elle n'a réussi à influencer la négociation que lorsqu'elle était entourée de nombreux alliés.
En résumé, ma recherche montre que l'UE est un leader réformiste dans les négociations environnementales, qui défend généralement des positions ambitieuses, est active et est influente. Ces résultats impliquent que l’UE doit défendre des objectifs ambitieux au niveau international, car ces actions font une réelle différence concernant la thématique environnementale. En outre, les observations montrent l’importance du processus de négociation. Contrairement à certaines idées selon lesquelles la puissance économique est le facteur déterminant pour l'influence, je souligne que les actions de l'UE lors des conférences internationales comptent et font une différence essentielle dans le résultat de ces négociations.
Publication de référence:
Pipart, Frauke (2022). The EU’s role in international environmental negotiations: ambitions, diplomatic activities and influence, thèse de doctorat en science politique, Université catholique de Louvain.
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Frauke Pipart est chercheuse postdoctorale à l’institut de sciences politique Louvain-Europe (ISPOLE) à l’UCLouvain, rattachée au Centre d’Études Européennes (CEE) et elle est aspirante FNRS. Ses recherches portent sur le rôle de l’Union européenne (UE) dans les politiques environnementales mondiales (https://uclouvain.be/fr/repertoires/frauke.pipart).
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Pictures: "Exchange of views with Greta Thunberg, climate activist - Committee on the Environment, Public Health and Food Safety" by The Left in the European Parliament licensed under CC BY-NC-ND 2.0.; "European Union Parliament" by adamblang is licensed under CC BY-NC-SA 2.0. "European Union Parliament" by adamblang licensed under CC BY-NC-SA 2.0.; "Réunion de coordination des chefs de délégation européens pour les négociations en vue de l'accord – Pavillon Union Européenne" by COPPARIS2015 licenced under CC0 1.0.