Les partis sociaux-chrétiens en Belgique: peut-on encore parler de partis-frères?

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Un billet rédigé par Benjamin Biard.

Le système politique belge est aujourd’hui caractérisé par une quasi-absence de partis nationaux. Alors que les partis traditionnels –sociaux-chrétiens, socialistes et libéraux– se sont scindés dans les années 1960-1970 et alors que des nouveaux partis se sont créés, seul le PTB-PVDA fait aujourd’hui figure d’exception. Néanmoins, depuis plusieurs années et particulièrement durant le processus de formation gouvernementale qui a été déclenché dans la foulée du scrutin multiple du 26 mai 2019, les partis socialistes ainsi que les partis libéraux semblent se rapprocher au sein de leur famille politique respective. Un tel rapprochement semble moins évident pour le CDH et le CD&V. Cet article propose d’interroger les liens et les relations entretenus par les partis frères issus de la famille sociale-chrétienne en Belgique.

La question est abordée à travers l’étude des héritiers du PSC-CVP unitaire, en se focalisant sur la période entamée au début des années 2000, c’est-à-dire depuis la fondation du CDH et du CD&V dans leurs moutures et structures actuelles. Sur la base d’un corpus constitué de nombreuses archives et de vingt-quatre entretiens réalisés avec des (ex-)cadres et/ou (ex-)élus des partis orange de Belgique, cette étude qualitative permet de mieux comprendre dans quelle mesure le CDH et le CD&V interagissent, par exemple lors d’une campagne électorale, lors d’un processus de formation gouvernementale, lors de la résolution d’une crise ou tout simplement dans le cadre de leur gestion politique journalière.

L’étude indique que les relations entretenues entre le CDH et le CD&V se sont considérablement dégradées dans le temps. Alors que les partis sociaux-chrétiens fondés suite à la scission du parti unitaire en 1968 avaient conservé des organes communs, force est de constater que la distanciation qui caractérise leurs rapports s’est accrue de façon continue dans le temps, et ce à différents niveaux. Cette distanciation s’opère, que ce soit au sein des assemblées parlementaires, des centres d’étude du CDH et du CD&V ou encore des cabinets ministériels. Les archives analysées permettent notamment de saisir l’ampleur de cette distanciation à travers nombre d’exemples concrets et de conclure à des relations aujourd’hui limitées et principalement d’ordre informel et interpersonnel.

Trois facteurs permettent de comprendre cette faiblesse des liens entretenus entre le CDH et le CD&V.

Le premier tient aux différences majeures qui caractérisent ces partis sur le plan idéologique. Une analyse diachronique de leurs programmes électoraux respectifs indique que, sur le plan idéologique, le CDH et le CD&V se distinguent de plus en plus l’un de l’autre dans le temps. Ces différences portent essentiellement sur les questions d’ordre communautaire et d’ordre socio-économique. Le CD&V est en effet non seulement plus régionaliste que le CDH mais se situe aussi plus au centre-droite du spectre socio-économique.

Ensuite, l’ancrage du CDH et du CD&V au sein du pilier chrétien est contrasté (dans leurs rapports avec le monde syndical ou avec l’enseignement catholique, par exemple). Dès la scission du parti unitaire PSC-CVP en 1968, le CVP conserve des relations institutionnalisées très proches avec les standen alors que le PSC suit une évolution caractérisée par une distanciation croissante avec ceux-ci. Aujourd’hui encore, les rapports qui caractérisent les partis sociaux-chrétiens avec le pilier chrétien demeurent variés.

Le troisième facteur tient à la nature –parfois complexe– des relations entretenues entre les cadres de chacune de ces formations. Ainsi, on remarque par exemple des tensions qui se sont développées entre les présidents des deux partis à l’occasion du vote de la cinquième réforme de l’État, en 2001. Pourtant, sur la base de certaines caractéristiques communes – comme une histoire partagée, une base sociologique semblable et un destin électoral similaire (cf. graphique 1), subsiste une volonté répétée de rapprocher les deux partis, particulièrement dans le chef des présidents du CDH et du CD&V ou des directeurs de leurs centres d’étude respectifs. Cela fut par exemple le cas durant la campagne électorale de 2019, lors de l’accession de Maxime Prévot à la tête du CDH. Mais un tel projet ne s’est guère concrétisé, notamment en conséquence d’une participation de plus en plus asymétrique des partis au pouvoir depuis 2014.

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En conclusion, l’étude questionne la pertinence de recourir encore aujourd’hui à la notion de partis-frères lorsqu’elle s’applique aux partis sociaux-chrétiens en Belgique et interroge l’impact plus général que la progressive disparition de la famille sociale-chrétienne comporte. Elle ouvre aussi un agenda de recherche en suggérant une analyse comparée des familles partisanes belges afin de mieux saisir la nature des relations des partis qui les composent et, ce faisant, de mieux comprendre encore la spécificité des partis sociaux-chrétiens en Belgique.

Référence:
Biard B. (2020) "Les partis frères en Belgique : les relations entre le CDH et le CD&V", Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2467-2468, 74 p.

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Benjamin Biard est docteur en sciences politiques (UCLouvain) et chargé de recherche au Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP). Il est par ailleurs chargé de cours invité à l’UCLouvain et collaborateur scientifique au sein de l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe (ISPOLE).

 

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