Leadership politique et COVID-19: l’appel à une mère de la nation?

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Un billet rédigé par Clémence Deswert.

Pendant les mois qui ont suivi l’émergence de la crise liée à la COVID-19, plusieurs opinions ont soulevé l’idée que les cheffes d’État et de gouvernement auraient mieux géré la crise que leurs homologues masculins. Ces femmes politiques ont été mises en avant pour leur style de communication jugé empathique, humble, bienveillant. Des qualités que la société, traversée par des stéréotypes de genre, a traditionnellement attribuées aux femmes. Et surtout, des traits qu’on associe généralement peu au monde politique, encore considéré comme une arène où la masculinité se doit d’être performée – c’est-à-dire activement mise en scène, jouée.

En Belgique, le leadership de Sophie Wilmès, Première ministre à l’époque, a-t-il fait l’objet d’un tel traitement? Les qualités traditionnellement considérées comme "féminines" ont-elles été appréciées pendant sa gestion de la crise?

C’est la question à laquelle cette recherche a tenté de répondre en étudiant la construction genrée du leadership politique dans la presse belge francophone lors du mandat de Sophie Wilmès, et plus particulièrement pendant sa gestion de la crise du coronavirus.

Les femmes, de parfaites gestionnaires de crise?

La recherche part de l’idée, présente dans certains articles scientifiques, de la "falaise de verre", qui désigne la tendance à nommer des femmes à des postes à responsabilités lorsqu’une organisation est en crise. En politique, elle a notamment été mobilisée pour évoquer la désignation de Theresa May comme Première ministre du Royaume-Uni, en plein bouleversement à la suite du Brexit.

Si le phénomène de la "falaise de verre" paraît difficile à généraliser, il a permis de soulever certaines hypothèses intéressantes. Parmi celles-ci figure l’idée que certains attributs considérés comme "féminins" (sens du compromis, compassion, qualité d’écoute, empathie, altruisme) seraient particulièrement recherchés chez les leaders en temps de crise.

Wilmès, de l’intérim à l’état de grâce?

En octobre 2019, la vie politique belge a fourni un cas d’école de la "falaise de verre": Sophie Wilmès devient la première femme à prendre la tête du pays en pleine crise politique. En effet, le gouvernement fédéral est alors minoritaire, depuis décembre 2018 et le départ de la N-VA de la coalition gouvernementale, mais également en affaires courantes depuis les élections de mai 2019. Quelques mois plus tard, la Première ministre doit faire face à un autre contexte de crise: la pandémie mondiale frappe la Belgique.

Cette configuration semblait particulièrement intéressante pour tester l’hypothèse d’une valorisation des qualités dites "féminines" chez les leaders en temps de crise. À cette fin, nous avons sélectionné, parmi six titres de presse belge francophone, tous les articles faisant référence au leadership politique de Sophie Wilmès, et ce durant toute la durée de son mandat (octobre 2019 à septembre 2020). Nous avons ensuite déterminé si et comment, dans les discours de la presse, les attributs "féminins" avaient été mobilisés dans la définition de ce que devrait être un·e bon·ne leader politique en temps de crise sanitaire.

Entre compassion et détermination

L’analyse a révélé que les traits considérés comme "féminins" ont occupé une place importante dans la figure du ou de la bon·ne leader en période de pandémie. En effet, à la fin du mois de février et tout au long du mois de mars 2020, ces caractéristiques ont été intensivement utilisées par les journalistes pour évoquer et saluer le leadership de Wilmès. Malgré une remise en question de celui-ci en avril, les traits "féminins" sont à nouveau mentionnés dès le mois de mai. Wilmès est alors considérée comme incarnant une gestion adéquate de la crise et son style est applaudi. 

En outre, la presse fait la part belle aux attributs liés au care. Ce champ de recherche a permis, entre autres choses, de souligner le fait que les femmes sont généralement sociabilisées autour de qualités relationnelles visant à prendre soin des autres, notamment des plus vulnérables. Certains articles font ainsi référence à la maternité ou à la parentalité dans leur couverture du style de communication de Wilmès. On peut se demander si la nature de la crise de la COVID-19, qui a mis en exergue le besoin d’attention à autrui, n’a pas contribué à accentuer cette vision de la leader politique comme "mère de la nation".

Néanmoins, il faut noter que certaines caractéristiques socialement associées à la masculinité, comme la détermination et la fermeté, ont également été perçues comme nécessaires pour gérer la crise. Dans le chef des femmes politiques, combiner des qualités que la société attribue à la "féminité" avec d’autres liées à la « masculinité » permettrait donc de se prémunir contre une "double contrainte". Il ne leur serait plus reproché de trahir leur supposé rôle de femme par des attitudes "masculines", et elles ne seraient plus en décalage avec un monde politique masculin en performant la féminité.

Gouverner autrement

Cette recherche ouvre principalement deux perspectives. D’abord, elle constitue une occasion de réfléchir au renouvellement des manières d’exercer le pouvoir du point de vue du genre. Il ne s’agit pas d’enfermer les femmes politiques dans un style présumé "féminin", mais plutôt d’interroger les conditions de possibilité, tant chez les hommes que chez les femmes politiques, d’un leadership moins dominateur, qui ne valorise pas uniquement un mode "viriliste" de gouvernance. À ce titre, la chercheuse Marie-Cécile Naves jette les bases d’un leadership "combatif tout autant que coopératif, déterminé, ambitieux et à la fois soucieux de prendre en compte les expériences vécues".

Enfin, nous souhaitons envisager dans quelle mesure et comment les femmes leaders pourraient utiliser leur association historique au care à des fins stratégiques. La démarche consisterait à examiner si Sophie Wilmès a contribué, dans sa communication directe (par exemple sur les réseaux sociaux), à construire sa propre image de dirigeante empathique et bienveillante pendant la crise. Cette perspective donnerait une place centrale à l’agentivité des femmes politiques, c’est-à-dire leur capacité à agir. Elle permettrait de les envisager non pas comme des sujets passifs face aux stéréotypes de genre, mais comme des actrices susceptibles d’en jouer, de mobiliser leur association aux supposées "qualités féminines" à leur avantage. 

Article de référence:

Deswert C. (2021) "The Praise for a ‘Caretaker’Leader: Gendered Press Coverage of Prime Minister Sophie Wilmès in a COVID-19 Context", Politics of the Low Countries, 3(2), pp. 186-204.

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Clémence Deswert est doctorante en science politique à l’Université libre de Bruxelles. Ses recherches portent sur la communication politique, le genre, le leadership et la représentation politique des femmes.

 

 

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Pictures: 'Sophie Wilmès' by Claudio Centonze free to use if credited; 'Conferencia de Prensa - Primera ministra del Reino Unido Theresa May' by G20 Argentina licensed under CC BY 2.0; 'Dr. A Merkel - Places, everyone!' by European Parliament licensed under CC BY-NC-ND 2.0.