Les partis politiques en Belgique: colosses aux pieds d’argile?

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Un billet de Pascal Delwit et Émilie Van Haute.

En Belgique, les premiers partis ont vu le jour dès le XIXème siècle. Ils ont exercé nombre de missions dans la société et leur importance a crû dans le temps, à tel point que la Belgique se voit fréquemment citée comme idéal-type de ‘particratie’ – c. à d. un État où le pouvoir est concentré aux mains des partisPourtant, leur dynamique, leurs rôles et ce qu’ils incarnent aux yeux des citoyens se sont transformés au cours des dernières décennies. 

L’ouvrage Les partis politiques en Belgique analyse de manière systématique et comparative les partis en Belgique. Les contributions, rassemblant 18 chercheur·e·s, s’intéressent aux dimensions historiques, aux axes programmatiques des partis, à leurs performances électorales et politiques, à leur implantation électorale ou encore leurs schémas organisationnels. Dans ce billet nous nous concentrons sur trois tendances lourdes abordées dans les chapitres transversaux de l’ouvrage: la multiplication du nombre de partis, leur professionnalisation et le déclin de l’adhésion, et l’intégration asymétrique des réseaux sociaux par les partis.

Des systèmes partisans fragmentés et asymétriques

Une première évolution marquante est que, depuis quinze ans, la fragmentation du système de partis s’est approfondie. L’indice de fragmentation mesure la dispersion électorale à l’aune de la distribution en voix. Plus l’indice est proche de 1, plus le système est fragmenté. Plus il est proche de 0, moins le système politique est fragmenté. La figure 1 montre qu’en 2019, il a atteint un plafond historique, et constitue l’un des taux les plus élevés en Europe. On constate une forme d’égalisation des forces politiques. La hiérarchie des partis est bouleversée. La N-VA est devenue la première force politique de Flandre tandis que les familles socialiste, libérale et sociale chrétienne ne parviennent même plus à représenter la majorité des électeurs du pays. 

Une des conséquences de cette fragmentation est la difficulté de former une majorité parlementaire et des exécutifs au niveau fédéral. Dès lors, le nombre de partis présents dans la majorité parlementaire augmente. Au début des années 1960, il oscillait de deux à trois et s’est progressivement élevé. Le 1er octobre 2020, le gouvernement De Croo a atteint un record: sept partis le composent.

Figure 1. Évolution de l’indice de fragmentation du système partisan en Belgique, 1946-2019

Déclin de l’adhésion, professionnalisation et démocratisation des partis

Un des changements contemporains les plus marquants des partis belges est le déclin progressif de l’adhésion de membres, touchant plus particulièrement les familles historiques. Cela dénote une difficulté dans le chef des partis à maintenir un ancrage sociétal fort.

Ce déclin de l’adhésion, illustré dans la figure 2, s’opère en parallèle d’une institutionnalisation des partis au sein de État, notamment via la mise en place du financement public, principale ressource des partis. Cette dépendance est une caractéristique commune des partis dans la plupart des démocraties occidentales. Néanmoins, en Belgique, cette pénétration de l’État se fait sans reconnaissance formelle du statut juridique, et sans contrôle ou régulation au-delà de l’aspect financier. Une autre ressource sur laquelle les partis peuvent s’appuyer est le personnel rémunéré, ce qui les mène vers une plus grande professionnalisation.

Figure 2. Évolution du taux d’adhésion aux partis politiques en Belgique, 1949-2019

Note: Taux = Nombre de membres / nombre d’électeurs inscrits (en pourcentage). 

Sur le plan organisationnel, ces évolutions ont amené certains partis à repenser leur lien avec les citoyens. L’évolution principale se situe dans la diversification des modes d’adhésion et les réformes des processus de prise de décision interne. Ces réformes sont censées donner davantage de poids aux adhérents au détriment des structures intermédiaires des partis. Elles n’ont pourtant pas fait revenir les adhérents en masse et tendent à renforcer la verticalité et la centralisation internes. Pour les partis, il n’est pas toujours aisé de trouver une voie entre les injections à davantage de transparence et les sanctions liées à la visibilisation de divisions internes, l’ouverture des procédures et le souci de les maîtriser sans que la démocratie interne ne soit taxée de mascarade.

Un développement asymétrique sur les réseaux sociaux

Enfin, les partis ont progressivement intégré l’utilisation des réseaux sociaux dans leur fonctionnement et leur communication. Cette intégration s’est faite de manière asymétrique. Les partis néerlandophones ont adopté plus vite l’usage des réseaux sociaux et y sont plus actifs que leurs pendants francophones. La proximité culturelle avec le monde anglo-saxon peut sans doute expliquer ce décalage. Les formations néerlandophones sont également plus populaires en ligne, mais cette différence reflète principalement le fait que les deux ne concourent pas dans un espace démographique de même taille. 

Les nouveaux partis apparaissent plus précoces dans l’adoption des réseaux sociaux, mais aussi plus efficaces et performants en termes d’activité et de popularité que les partis issus des trois familles politiques traditionnelles. On notera ainsi l’hyperactivité et la popularité du Vlaams Belang, et dans une moindre mesure de la N-VA côté néerlandophone, ainsi que celle du PTB et d’Ecolo côté francophone. Pour ces partis, les nouveaux outils de communication offrent une voie alternative à travers laquelle ils peuvent influencer l’opinion publique et affecter le cours de la vie politique. En particulier, les partis radicaux (VB, PTB) délaissent Twitter au profit de Facebook, dont le taux de pénétration auprès de la population est plus important. A l’inverse, la N-VA et les partis historiques sont omniprésents sur Twitter et constituent une forme d’« entre-soi » sur cette plateforme. Néanmoins, ces partis ont redoublé d’efforts pour investir ce nouveau champ communicationnel et l’on pourrait se diriger vers une phase de « normalisation », où les partis traditionnels tireraient profit de leur position en termes de ressources pour concurrencer les nouveaux partis sur ce territoire.

La figure 3 montre que, dans l’ensemble, l’activité et la popularité des partis belges sur les réseaux sociaux reflètent bien les rapports de force structurant la politique belge, avec une accentuation marquée de l’activité et de la popularité des partis radicaux, notamment à l’approche des élections fédérales de 2019. 

Figure 3. Évolution de la popularité des partis politiques belges sur Facebook

L’ouvrage Les partis politiques en Belgique montre à quel point la question de la place des partis dans le triptyque citoyens-partis-État est plus que jamais au cœur du débat. Si les partis restent puissants en Belgique, la fragmentation du système ne permet plus de distinguer facilement les acteurs dominants, et cela contribue à brouiller la lisibilité des rapports de force pour les citoyens. En se professionnalisant, les partis se sont rapprochés de l’État mais se sont éloignés de la société civile avec le déclin de l’adhésion. La démocratisation des organisations internes et l’investissement en ligne permettent-ils de recréer du lien ou sont-ils symptomatiques d’une centralisation et personnalisation accrue des partis ? L’ouvrage ouvre le débat.

Publication de référence:
Delwit P. & Van Haute E. (2020) Les partis politiques en Belgique, Éditions de l'Université de Bruxelles.

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Pascal Delwit est Professeur de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB), où il mène ses recherches au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol). Ses recherches sont dédiées à la vie politique en Belgique et en Europe. 

 

 

 

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Emilie van Haute est Professeure de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et chercheuse au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol). Ses recherches portent sur les partis politiques, les élections et la démocratie.

 

 

 

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Emilie van Haute

Emilie van Haute est professeure de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB), où elle occupe un mandat de Professeure de recherche Francqui (2023-2026). Ses recherches portent sur les partis politiques, la participation politique, les élections et la démocratie. Ses projets actuels sont le Political Party Database (PPDB) sur les organisations partisanes, et le projet FNRS-FWO EOS NotLikeUs sur la polarisation en Belgique. Elle est également directrice du Policy Lab de SciencePo ULB.