L’extrême droite en Europe occidentale: un état des lieux

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Un billet rédigé par Benjamin Biard. "L’extrême droite en force", "Bond de l’extrême droite", "Forte percée de l’extrême droite", "Nouvelle poussée de l’extrême droite", "Montée des partis d’extrême droite", … Tels sont les titres auxquels recourent de façon régulière de nombreux journaux d’Europe occidentale aujourd’hui. Le phénomène auquel la presse fait ainsi référence n’est pourtant pas nouveau. Mais la force de l’extrême droite a évolué, tout comme sa capacité d’influence. Cette évolution résulte souvent d’un processus de normalisation ou de dédiabolisation entrepris par les formations appartenant à ce courant politique afin de percer un plafond de verre électoral ou afin de briser un potentiel cordon sanitaire et, in fine, afin d’exercer le pouvoir. Le Courrier hebdomadaire du CRISP n° 2420-2421 propose un état des lieux des formations d'extrême droite en Europe occidentale.

Cinq cas de figure

Premièrement, le Courrier hebdomadaire se penche sur les partis d’extrême droite qui ont réussi cette opération de normalisation et qui ont bénéficié d’un accès au pouvoir exécutif au niveau national. En Europe occidentale, tel a été le cas en Autriche, en Finlande, en Italie, en Norvège, aux Pays-Bas et en Suisse. Deuxièmement la recherche interroge aussi les formations d’extrême droite qui, sans exercer formellement le pouvoir, apportent leur soutien à un gouvernement minoritaire, comme au Danemark, aux Pays-Bas et en Norvège. D’autres formations d’extrême droite parviennent à se développer de façon importante mais sans toutefois parvenir à exercer le pouvoir exécutif ; en ce sens, et troisièmement, l’étude aborde les cas de la Belgique flamande, de la France et de la Suède. Quatrièmement, parfois, des pays caractérisés par une absence structurelle de partis d’extrême droite voient émerger de façon soudaine mais intense de tels partis ; dès lors, l’Espagne et l’Allemagne occupent également une place centrale dans cette recherche. Enfin, certains pays semblent immunisés contre les partis d’extrême droite : il en va ainsi en Belgique francophone, en Irlande, en Islande, au Luxembourg, à Malte, au Portugal et au Royaume-Uni. Le Courrier hebdomadaire propose alors des pistes visant à mieux comprendre les facteurs concourant à expliquer ce phénomène.

Un corpus idéologique et doctrinal commun

Reposant sur une définition commune de l’extrême droite, les formations politiques étudiées puisent toutes dans un corpus idéologique et doctrinal commun, basé sur trois caractéristiques :
  • le rejet de l’immigration, voire la xénophobie ;
  • un projet autoritaire en matière de sécurité intérieure ;
  • une rhétorique antisystème et hostile aux partis politiques traditionnels.
Néanmoins, l’extrême droite est protéiforme et peut être néo-nazie, nationale-populiste, eurosceptique, intégriste (d’un point de vue religieux), ou reposer sur un projet relevant du « gramscimse de droite » (selon lequel la politique ne se fait pas que dans les lieux traditionnels du pouvoir mais aussi à travers un travail idéologique au sein de la société civile).  

Le succès de l'extrême droite en Europe occidentale

L’étude montre que toutes ces formes d’extrême droite ne parviennent pas à s’imposer en Europe occidentale. Ainsi, ce sont principalement les formations eurosceptiques et les formations nationales-populistes – c’est-à-dire celles qui n’opèrent pas de distinction entre des races et n’usent pas de moyens violents pour mener à bien leur projet politique, mais qui recourent à un style politique fondé sur l’appel au peuple, en opposition aux élites et aux éléments non-nationaux – qui se dégagent parmi les plus performantes. À l’inverse, les partis néonazis peinent à se développer. Cela tient à un certain nombre de contraintes légales qui restreignent la liberté d’expression de ces partis, mais cela résulte aussi des stratégies adoptées par les partis d’extrême droite depuis la fin des années 1990 et qui marquent un tournant historique dans le développement de ces formations. Ainsi, les partis d’extrême droite gagnent en légitimité en se normalisant. Sur la base de la comparaison effectuée, l’étude revient aussi sur les facteurs explicatifs de la croissance des partis d’extrême droite ainsi que sur les raisons de leur marginalisation dans certains pays. Enfin, la question de leur influence ne manque pas d’être posée : si les formations au pouvoir parviennent à exercer une influence sur les politiques publiques, une telle influence peut aussi être exercée lorsque les partis d’extrême droite ne sont pas représentés au sein d’un exécutif. À cet égard, le cas du Danemark illustre à quel point un parti d’extrême droite qui soutient un gouvernement minoritaire sans y prendre formellement part peut être influent. En effet, alors que le Parti populaire danois (DF) n’a jamais détenu de portefeuille ministériel, le soutien parlementaire qu’il apporte à des gouvernements minoritaires entre 2001 et 2011 et entre 2015 et 2019 lui permet de maintenir les questions migratoire et identitaire au devant de l’agenda politique mais aussi de traduire en décisions publiques bon nombre de ses propres promesses électorales.

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En conclusion, la comparaison des 19 pays d’Europe occidentale étudiés permet de dégager plusieurs enseignements transversaux. Ceux-ci portent sur le renforcement de l’extrême droite en Europe occidentale, ainsi que sur l’avènement d’une nouvelle phase dans le développement de l’extrême droite, sur les facteurs explicatifs de leur émergence ou de leur croissance, ainsi que sur les types de partis d’extrême droite victorieux et l’incapacité des partis politiques à se partager le créneau de l’extrême droite. Une prochaine livraison du Courrier hebdomadaire s’attachera à réaliser une radioscopie de l’extrême droite en Europe centrale et orientale. Distincte à plusieurs égards de l’extrême droite en Europe occidentale, elle frappe également par sa présence et son importante capacité d’influence.

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Référence: Biard B. (2019) « L’extrême droite en Europe occidentale (2004-2019)», Courrier hebdomadaire du CRISP, n°2420-2421, 104 p. Sources additionnelles:

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. Benjamin Biard est docteur en sciences politiques (UCLouvain) et chargé de recherche au Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP). Il est par ailleurs chargé de cours invité à l’UCLouvain et collaborateur scientifique au sein de l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe (ISPOLE). Il a récemment rédigé un Courrier hebdomadaire du CRISP sur l’extrême droite en Europe occidentale et co-dirigé un ouvrage (ECPR Press) sur l’influence des partis d’extrême droite en Europe occidentale.