Vers la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie

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Un billet rédigé par Marie-Luce Delfosse.

Les deux Courriers hebdomadaires du CRISP synthétisés ici visent à rendre compte du débat parlementaire qui a conduit à l’adoption de la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie. Ce débat fut particulier par son objet, assez inédit à l’époque, par son ampleur, son intensité et son déroulement. Il le fut aussi par l’implication très importante de nombreux acteurs de la société civile et par le rôle joué par les médias ; les uns et les autres furent, en certaines circonstances, des partenaires actifs du travail parlementaire. C’est ce cheminement qui est rappelé ici avec l’indication de ses prolongements, tant en termes de compléments législatifs que de questions ouvertes actuellement.

Une opportunité politique

En mai 2002, la Belgique est devenue l’un des premiers pays au monde à autoriser la pratique de l’euthanasie, moyennant le respect de strictes conditions. Cette légalisation a résulté d’une opportunité politique : suite aux élections du 13 juin 1999, un gouvernement de coalition inédite, dite arc-en-ciel, a été constitué. Il réunissait le VLD, le PS, la Fédération PRL-FDF-MCC, le SP, Ecolo et Agalev. Le PSC et le CVP, qui refusaient jusque-là que des réformes soient réalisées dans le domaine éthique, étaient pour leur part renvoyés dans l’opposition. Or, le besoin d’un encadrement légal de l’euthanasie s’imposait aux yeux de beaucoup, à la fois en raison de pratiques clandestines et abusives, inacceptables à l’égard des patients, et de questions d’insécurité juridique pour les médecins. Dès lors, et malgré les refus exprimés précédemment, sitôt que la possibilité d’un débat parlementaire s’est ouverte, la nécessité de légiférer a rapidement fait consensus parmi tous les partis politiques.

Palais de la Nation, Bruxelles

Un travail parlementaire intense en connexion étroite avec la société civile

Le processus législatif s’est échelonné sur presque trois années (de juillet 1999 à mai 2002) durant lesquelles les discussions furent vives et nourries, la gravité de la question à traiter suscitant une vigilance minutieuse. Ce processus s’est déroulé au Sénat de juillet 1999 à novembre 2001, d’abord en commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales d’octobre 1999 à mars 2001, puis en séance plénière au cours du mois d’octobre 2001. Le texte adopté a alors été transmis à la Chambre des représentants. Il a d’abord été soumis pour avis à la commission de la Santé publique, de l’Environnement et du Renouveau de la Société qui l’a examiné en janvier 2002.  La commission de Justice a pris le relais de fin janvier jusqu’à son vote en avril 2002. Le texte a ensuite été discuté en séance plénière et le vote final a eu lieu le 16 mai 2002.

Durant ces trois années, le travail et la réflexion furent intenses. Plusieurs propositions de loi ont été déposées, qui abordaient la question sous des angles différents : les unes visaient à privilégier un encadrement juridique des seuls actes euthanasiques tout en en offrant la possibilité à différents types de malades ; les autres visaient un encadrement de l’ensemble des actes susceptibles d’être posés en fin de vie en réservant la possibilité de l’euthanasie à un nombre limité de malades. Des centaines d’amendements ont été discutés. Un large processus d’auditions a nourri les échanges. Ce travail parlementaire a été ponctué de nombreuses crises internes qui ont parfois été dépassées par le canal des médias. Plusieurs affaires judiciaires et des événements tragiques sont également intervenus, qui ont relancé la pertinence du débat en cours.

La connexion avec la société civile fut étroite. Outre un suivi médiatique important et de grande qualité, des associations et de très nombreux citoyens, dont des médecins, des juristes et des éthiciens, se sont impliqués dans la réflexion. Parlement et société civile ont entretenu un dialogue tout au long du processus législatif.

Au-delà des clivages traditionnels

L’opposition parlementaire étant essentiellement sociale-chrétienne, il était assez naturel de penser que l’ensemble des discussions s’organiserait selon le clivage traditionnel « chrétiens/laïques ». Cela n’a pas été exactement le cas. Durant les discussions, sur certains points, des rapprochements se sont d’ailleurs opérés entre des options de membres de la majorité et de l’opposition, grâce notamment à la liberté de conscience reconnue à chaque parlementaire. Toutefois, cela n’a pas abouti à l’élaboration d’un texte commun et ne s’est pas traduit dans les votes finaux.

Cependant,de façon unanime, les débats ont montré l’importance de deux questions connexes à l’euthanasie : les soins palliatifs et les droits du patient. Les trois thématiques ont été abordées conjointement tout au long du travail parlementaire. Outre la loi relative à l’euthanasie, celui-ci a finalement abouti à l’adoption de la loi du 14 juin 2002 relative aux soins palliatifs et à la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient. Ces trois lois redéfinissent fondamentalement la relation médecin-patient.

Tribune du Sénat belge

Pourquoi se rappeler ce débat?

Retracer le débat qui a conduit à la loi du 28 mai 2002 présente un double intérêt : rétrospectif et prospectif.

Rétrospectivement, cette démarche permet d’approcher le cheminement qui s’est opéré dans le chef des parlementaires, des médecins et de la société civile autour d’une question particulièrement sensible qui relève à la fois de l’éthique et de la déontologie, et qu’il s’agissait en l’occurrence d’encadrer juridiquement.

Prospectivement, se rendre compte de la toile de fond sur laquelle s’inscrit la loi actuellement en vigueur permet de mieux lire et comprendre celle-ci : à quelles questions a-t-elle voulu répondre ? quelle a été la manière choisie pour ce faire ?

On peut par là même mieux se situer par rapport aux questions qui ont été soulevées après l’adoption de cette loi, dont certaines demeurent ouvertes aujourd’hui et sont actuellement en discussion, notamment : durée de validité de la déclaration anticipée ; possibilité de l’euthanasie pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives ; possibilité de demander et d’obtenir l’euthanasie, hors phase terminale, pour seule souffrance psychique ou fatigue de vivre ; caractère personnel ou institutionnel de la clause de conscience ; obligations, vis-à-vis du patient, du médecin qui refuse de pratiquer une euthanasie.

 

Référence:

Delfosse M.-L., « Vers la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie (I). Une approche des débats parlementaires », Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2427-2428, 102 p.

Delfosse M.-L., « Vers la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie (II). Une approche des débats parlementaires et de leurs prolongements », Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2429-2430, 114 p.

Disponible également sur CAIRN.

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Marie-Luce Delfosse est docteure en philosophie (UCLouvain). Elle a été professeure d’éthique et de bioéthique à l’UNamur, en Faculté de droit et au Département de philosophie de la Faculté de philosophie et lettres, jusqu’en 2014. De 1998 à 2009, elle a été membre du Comité consultatif de bioéthique de Belgique. De 2004 à 2017, elle a présidé le comité d’éthique clinique de la Clinique Saint-Jean à Bruxelles.