Politique internationale de l’environnement: quel bilan et quels défis?

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Un billet rédigé par Amandine Orsini.

Alors que le monde entier est plongé dans la crise sanitaire liée au coronavirus, l’actualité nous interpelle sur notre capacité à faire face aux risques, à nous adapter aux circonstances, ou encore à rendre compatibles les mesures d’urgence et la lutte contre les inégalités. Autant de questions qui, au cœur de la crise sanitaire actuelle, rappellent les défis liés à d’autres domaines de la coopération internationale comme, notamment, la politique internationale de l’environnement qui s’intéresse à une crise moins subite mais non moins essentielle: la crise écologique mondiale.

C’est le sujet au cœur d’un nouveau manuel, intitulé Global Environmental Politics: Understanding the Governance of the Earth, qui a pour ambition de synthétiser les résultats de la recherche académique en politique internationale de l’environnement. Organisé en  dix chapitres, il présente successivement:

  • pourquoi la politique internationale de l’environnement est nécessaire (la science et les valeurs);
  • ses principaux acteurs (les États et les acteurs non étatiques);
  • les dynamiques d’interactions entre acteurs (l‘action collective et la diplomatie de sommet);
  • leur production d’institutions (les institutions internationales et les instruments);
  • et enfin les interactions entre la politique internationale de l’environnement et d’autres domaines (la sécurité et le commerce).

Aussi, pour mieux visualiser les enjeux globaux liés à la crise écologique, le manuel contient plus de 50 figures, cartes et graphiques (dont certaines reproduites ci-dessous) et 30 encadrés qui présentent des éléments de débat plus spécifiques (sur la classification des migrant.e.s environnementaux, sur la guerre pour le recyclage entre les États-Unis et la Chine, sur la géo-ingénierie, etc.). Ce billet présente les principaux enseignements de ce livre et revient notamment sur le dynamisme de la politique internationale de l’environnement, ses difficultés à composer à partir d’un monde politique très divers, et les principaux défis actuels à relever.

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Un domaine en constante évolution

La politique internationale de l’environnement fait régulièrement la une des médias. Actuellement, on parle de l’environnement dans des circonstances inattendues puisque, faisant suite aux mesures de confinement liées à l’épidémie de coronavirus, on évoque la diminution de la pollution de l’air, la reconquête des espaces par la biodiversité, ou encore la diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’aviation. Cependant, ces améliorations ne sont probablement que temporaires et ne suffiront pas à résoudre la crise.

Au-delà de cette attention médiatique, plusieurs évènements historiques récents témoignent d’un dynamisme des États concernant la coopération internationale de l’environnement (voir le Chapitre 5 du livre pour les fondements de cette coopération), comme l’adoption de l’Accord de Paris de 2015 pour la lutte contre les changements climatiques ou l’adoption, toujours en 2015, de la Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur les Objectifs du développement durable (voir Chapitre 6). Plus récemment, en décembre 2019, c’est l’ambitieux Pacte vert pour l’Europe qui a attiré l’attention des analystes. Il existe ainsi pas moins de 200 accords internationaux sur l’environnement (voir Figure 1, provenant du Chapitre 3) et leur nombre est en constante augmentation. Comme dernier exemple en date, nous pouvons encore citer en 2020, l’objectif d’adoption d’un nouvel accord mondial sur la protection des océans.

Figure 1. Nombre d’accords environnementaux ratifiés par les États et produit intérieur brut (PIB)*

Les acteurs non étatiques ne sont pas en reste (voir Chapitre  4) et les partenariats public-privé sont également en constante augmentation .

Figure 2. Nombre cumulatif de partenariats public-privé transnationaux pour le climat*

Enfin, 2020 s’envisageait avant la crise sanitaire comme une année charnière quant à la question de la biodiversité et du climat puisque devaient se tenir la quinzième conférence des parties (COP15) de la Convention sur la diversité biologique et la COP 26 sur le climat, cette dernière devant notamment réaliser la première évaluation des engagements étatiques au sein de l’Accord de Paris. Ces étapes importantes sont maintenant planifiées pour 2021.

Des relations politiques très inégales

Les questions d’environnement sont souvent reprises dans les médias au travers de données scientifiques et celles-ci sont alarmantes (voir Chapitre 1). La température du globe a déjà augmenté de 1 degré Celsius et le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) nous indique qu’au-delà d’1,5 degré les conséquences climatiques seront dommageables pour l’homme et pour la planète. De plus, l’évolution des évènements climatiques extrêmes (fortes chaleurs et sécheresses intenses, tempêtes, inondations, etc.) embrasse une courbe exponentielle, qui renvoie à l’expérience que nous connaissons actuellement dans le domaine de la santé, et qui, dans le cas de l’environnement, inclut clairement plusieurs points de non-retour. Une fois lancée, la machine climatique ne s’arrêtera pas de sitôt.

Mais le domaine environnemental est également extrêmement politique et criant en termes d’inégalités. Si l’on prend la question de la production scientifique sur le changement climatique, les inégalités sont évidentes. Ainsi, la Figure 3 montre que très peu d’experts, en dehors des pays développés, sont inclus dans la réalisation des rapports scientifiques du GIEC. Cette inégalité dans la production des savoirs a notamment pour conséquence que les rapports produits renforcent l’impression des pays en développement selon laquelle l’agenda de la politique internationale de l’environnement leur serait imposé par les pays développés (voir Chapitre 6 sur les sommets environnementaux). Cela signifie également que les rapports du GIEC se basent très majoritairement sur les recherches adoptant les canons scientifiques de l’évaluation par les pairs et bénéficient de ce fait peu des savoirs alternatifs (notamment les connaissances traditionnelles et locales, davantage basées sur l’expérience et la pratique; ou même les connaissances en sciences sociales pourtant tout aussi importantes que celles des sciences dites "dures", voir Chapitre 1 sur la science).

Figure 3. Nombre d’auteur.e.s ayant contribué au sixième rapport d’évaluation du GIEC (à paraître en 2022)*

À ces inégalités s’ajoutent les questions financières. La Figure 1 suggère qu’un État doit avoir un certain niveau de richesse (approximée par le PIB) pour s’engager substantiellement à ratifier des accords environnementaux internationaux, même si, une fois un certain seuil de richesse passé, la condition n’est plus suffisante.

D’autres inégalités concernent le déséquilibre de responsabilité par rapport à la pollution de notre planète, les inégalités de vulnérabilités environnementales ou encore les inégalités sociales. Ces inégalités se déclinent entre États, entre classes ou encore entre générations (à nouveau la crise sanitaire actuelle est extrêmement parlante sur ces aspects) et se combinent; les plus vulnérables ayant souvent le moins de capacités, et pourtant le moins de responsabilité vis-à-vis de l’urgence environnementale. C’est par exemple le cas des petits États insulaires dans le cadre des changements climatiques, ou des jeunes par rapport au reste de la population, toujours dans ce même cadre des enjeux climatiques (sur la question de l’équité inter et intra-générationnelles notamment, voir le Chapitre 2 sur les valeurs).

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Des défis à relever

Alors que le jeu politique est complexe, plusieurs défis cruciaux doivent être relevés.

Un premier défi est définitivement temporel : alors que l’urgence est déjà présente, comment accélérer la transition écologique? La plupart des analystes s’accordent sur l’importance d’un multilatéralisme effectif et ambitieux (voir Chapitre 7), et sur le besoin d’un engagement de tous, à toutes les échelles (voir Chapitre 8). Si l’on considère ce que la politique internationale de l’environnement a accompli en moins de trente ans, accomplissement détaillé dans les 350 pages du manuel, cela montre qu’il est possible d’évoluer collectivement et rapidement. Les interrelations avec le régime international du commerce sont des voies possibles pour diffuser les normes environnementales (Chapitre 10).

Un deuxième défi est profondément éthique : comment rendre la transition juste (Chapitres 2 et 6)? Alors que certain.e.s font face à des difficultés (économiques, sociales, etc.) à court terme, il est difficile de se projeter vers un horizon plus lointain. Il devient alors essentiel de penser une transition acceptée par toutes et tous et vivable pour chacun.e.

Un troisième challenge enfin est celui de l’adaptation, à la fois à cette transition, mais aussi aux modifications environnementales déjà en cours, qui déstabilisent la politique mondiale (voir Chapitre 9).

La pandémie actuelle est tragique et teste nos capacités à faire face au changement, aux inégalités, et à nous adapter. Il faut maintenir le cap de ces questionnements pour avancer aussi face à la crise écologique.

Ouvrage de référence:
Morin J.-F., Orsini A., Sikina J., Global Environmental Politics: Understanding the Governance of the Earth, Oxford, Oxford University Press, 2020.

* Tous les graphiques liés au manuel sont disponibles en accès libre ici.

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Amandine Orsini est professeure de science politique à l’Université Saint-Louis – Bruxelles. Spécialisée dans l’analyse des relations entre institutions internationales et acteurs non-étatiques, elle développe des études de cas qui relèvent principalement du domaine de l’environnement. En 2015, elle a co-écrit Politique internationale de l’environnementaux Presses de Sciences Po Paris. En 2020, elle co-édite également EU environmental governance: current and future challenges (Routledge avec Elena Kavvatha) et Essential Concepts of Global Environmental Governance (Routledge, deuxième édition, avec Jean-Frédéric Morin).