La Belgique à l’OTAN: un passager clandestin fiable?

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Un billet rédigé par Tim Haesebrouck.

Lors du sommet de l’OTAN au Pays de Galles en 2014, les chefs d'État et de gouvernement des pays alliés ont décidé de consacrer au moins 2% de leur PIB au secteur de la défense et d'allouer a minima 20% de ce budget aux investissements en équipements. Les données les plus récentes de l'OTAN en matière de défense montrent que de nombreux alliés sont encore loin d'atteindre ces objectifs et que la Belgique est clairement l'une des plus mauvaises élèves de la classe nord-atlantique.

En 2021, la Belgique consacre 1,07% de son PIB à la défense (le deuxième pourcentage le plus faible de tous les alliés de l'OTAN, après le Luxembourg). En outre, seuls 10% du budget de la défense belge sont consacrés aux investissements en équipements, soit le troisième ratio le plus faible de tous les alliés de l'OTAN (après la Slovénie et la Croatie).

Le niveau disproportionnellement bas des dépenses de défense de la Belgique est particulièrement frappant étant donné que les documents stratégiques officiels et les accords gouvernementaux soulignent constamment que la Belgique veut être un partenaire de sécurité fiable et crédible dans les organisations multilatérales comme l'UE, l'OTAN et l'ONU. La récente "note de politique générale" venant de la Ministre de la Défense belge, Ludivine Dedonder, affirme, par exemple, que "la Belgique doit rester un partenaire fiable et de premier plan au sein de l'ONU, de l'UE et de l'OTAN".

Dans une récente recherche parue dans International Politics, je cherche à expliquer pourquoi la Belgique investit si peu dans sa politique de défense et de sécurité, bien qu'elle soutienne fortement la coopération multilatérale en matière de défense. Plus précisément, je soutiens que les théories du comportement des petits États dans les relations internationales et le partage du fardeau de la défense suggèrent que le comportement de la Belgique est tout sauf irrationnel.

Les petits États dans la coopération multilatérale en matière de sécurité: un paradoxe?

Les petits États ont de bonnes raisons de soutenir les organisations internationales de sécurité : la participation à la coopération multilatérale en matière de sécurité leur permet d'accroître sensiblement leur sécurité à un coût relativement faible. Cependant, ils sont peu incités à assumer une part égale du fardeau au sein de ces organisations et, par conséquent, on peut s'attendre à ce qu'ils profitent à bon compte des efforts de partenaires plus importants. Ces petits États sont appelés des "passagers clandestins" (free riders en anglais) dans la littérature scientifique.

Paradoxalement, cette attitude finit par miner les organisations de sécurité qui offrent de si grands avantages aux petits États. De plus, le parasitisme des petits États comporte le risque pour l’État concerné d'acquérir la réputation d'être peu fiable ou déloyal, ce qui pourrait entraîner des coûts futurs en matière de sécurité.

Tel que présagé par cette théorie, la Belgique a été un fervent partisan de la coopération internationale en matière de sécurité depuis qu'elle a abandonné sa politique de neutralité après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ses documents officiels concernant la défense soulignent non seulement constamment l'importance des organisations multilatérales pour la sécurité belge, mais reconnaissent également que la Belgique doit assumer une part équitable du fardeau des efforts de sécurité collective. Pourtant, la Belgique dépense très peu pour sa défense.

Graphique 1.  Évolution des dépenses belges consacrée à la défense (% de son PIB)

Le graphique 1 montre que les dépenses militaires de la Belgique ont considérablement diminué après la fin de la guerre froide et, en 2014, elles ont atteint 0,9% de son PIB. En 2020, le budget de la défense avait à nouveau augmenté pour atteindre 1,1%. Le gouvernement belge entend poursuivre cette évolution à la hausse et arriver à un budget de 1,3 % de son PIB en 2030. Bien que la réalisation de cet objectif nécessite un effort budgétaire considérable, il se situe bien en deçà de l'objectif de 2% et même de la médiane actuelle de l'OTAN (1,72%).

De surcroît, le budget de la défense belge est devenu très déséquilibré en raison des coupes budgétaires continues durant les trois dernières décennies. À la fin de la guerre froide, la Belgique consacrait 25% de son budget de défense à des investissements dans de nouveaux équipements. En revanche, les données les plus récentes de l'OTAN indiquent que seuls 10% du budget sont consacrés aux investissements, ce qui met en péril la capacité de la Belgique à continuer à contribuer de manière significative aux opérations multilatérales de gestion de crise.

La Belgique, un partenaire fiable

La Belgique peut uniquement être considérée comme étant un partenaire fiable dans ce type de coopération multilatérale parce qu'elle contribue visiblement à la gestion de crise. En effet, contrairement à son niveau de dépenses militaires, la Belgique a assumé sa juste part du fardeau des opérations militaires multilatérales.

Le deuxième graphique estime le nombre de troupes belges déployées à l'étranger entre 1995 et 2018. Il se base sur les données de l'IISS Military Balance, qui publie des données annuelles de déploiements militaires. Bien que les déploiements sur le court terme, donc en cas de crise, ne peuvent pas être pris en compte dans les données, ces chiffres donnent une indication du schéma des contributions de la Belgique aux opérations multinationales, ainsi que des contributions moyennes des États membres actuels de l'UE.

Si l'on tient compte de sa taille relativement modeste (le PIB de la Belgique est inférieur à la moyenne de l'UE), il semble exact de dire que la Belgique remplit ses engagements en termes d'opérations militaires.

Graphique 2. Forces déployées par la Belgique par rapport à la moyenne de l’UE

Début 2021, à l'heure où ces lignes sont écrites, la Belgique apporte encore des contributions très visibles à la gestion des crises internationales:

  • 110 soldats belges participent aux opérations de l'ONU et de l'UE au Mali;
  • 100 soldat belges sont déployés dans une mission de formation au Niger;
  • quatre F16 et 100 soldats de soutien prennent part à la coalition luttant contre l'État islamique;
  • une centaine de soldats à l'opération Resolute Support en Afghanistan;
  • un peu plus de 300 soldats à la présence avancée renforcée de l'OTAN dans les pays baltes et en Europe de l'Est.

Pour maintenir la capacité nécessaire à des contributions aussi visibles aux opérations militaires multilatérales, et ainsi conserver une certaine crédibilité en tant que partenaire fiable pour ses principaux alliés, la Belgique devra continuer à investir dans ses capacités militaires.

À la suite de la crise actuelle de la COVID-19, le budget du gouvernement belge sera considérablement restreint. Étant donné que la défense a traditionnellement été une cible populaire pour les réductions budgétaires, il est tout sauf certain que la Belgique continuera à être un partenaire fiable dans la gestion militaire des crises ou, manquant de l'équipement nécessaire pour apporter des contributions précieuses aux opérations de gestion de crise, elle deviendra alors incontestablement un passager clandestin.

Article de référence:
Haesebrouck T. (2021) "Belgium: the reliable free rider", International Politics, 58, pp. 37-48.

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Tim Haesebrouck est chercheur postdoctoral à l’Université de Gand. Ses recherches portent sur l’intervention militaire, le partage de la charge de la défense et l’analyse de la politique étrangère.

 

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