Majorités absolues au niveau communal: pourquoi faire le choix de l’ouverture?

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Un billet de Valentine Meens et Geoffrey Grandjean.

 À l’issue des élections communales en Région wallonne du 14 octobre 2018, 189 groupes politiques ont remporté une majorité absolue. Vingt-deux d’entre eux ont décidé de ne pas exercer leur pouvoir seuls et de privilégier la formation d’une coalition surdimensionnée en intégrant un partenaire minoritaire. Ce choix d’ouvrir une majorité, a priori non nécessaire, n’est pas anodin puisqu’il conditionne le déroulement de la mandature ainsi que l’adoption et le contenu des politiques publiques communales.

L’objectif de notre recherche est d’identifier et de hiérarchiser les motivations qui poussent les nouveaux élus et élues, d’une part, à ouvrir une majorité absolue à d’autres groupes politiques et, d’autre part, à choisir un partenaire plutôt qu’un autre. L’étude se fonde sur des entretiens réalisés avec des bourgmestres et des chefs de file de groupes politiques des vingt-deux communes concernées par l’ouverture d’une majorité absolue.

Le choix d'ouverture et du partenaire minoritaire

Trois raisons principales justifient le choix d’ouverture réalisé par les partis politiques ayant remporté une majorité absolue. Premièrement, les leaders politiques cherchent à assurer une gestion communale plus efficace, qui permettrait la concrétisation d’orientations idéologiques promues par les groupes politiques, au travers de la mise en place de politiques publiques. Nous avons pu distinguer trois types d’efficacité: institutionnelle (majorité en sièges plus large au conseil communal), stratégique (partis politiques dans l’opposition moins nombreux) et stabilisatrice (majorité plus stable).

Deuxièmement, la volonté de disposer de relais supplémentaires aux niveaux de pouvoir supérieurs (régional, communautaire et fédéral) constitue un motif supplémentaire. Dans le cadre de leurs missions, les communes sont en effet fréquemment amenées à être en contact avec les formations politiques à des échelons supérieurs. Ainsi, l’ouverture d’une majorité absolue à un partenaire minoritaire présent à d’autres niveaux de pouvoir facilite les contacts avec les mandataires politiques des instances supérieures.

La recherche d’une majorité plus représentative de la population et d’une légitimité électorale accrue constitue une troisième motivation. Cet élément, auquel prêtent attention les bourgmestres qui ont décidé de favoriser une majorité communale surdimensionnée, permet en effet de donner une image d’ouverture.

Quant aux raisons poussant les leaders du parti ayant remporté la majorité absolue à choisir un partenaire plutôt qu’un autre, nous en avons identifié cinq: la proximité idéologique et programmatique entre les partenaires, les affinités interpersonnelles avec les membres du groupe minoritaire, le souvenir des expériences passées positives ou négatives vécues avec le partenaire, le nombre de sièges remporté au conseil communal par le partenaire de coalition minoritaire et l’influence des instances supérieures du parti.

Vers un modèle de motivations

Afin de théoriser la formation de coalitions surdimensionnées au niveau communal, nous avons établi un modèle explicitant et priorisant les motivations des choix d'ouverture d'une majorité absolue et de partenaire de coalition. Ce modèle repose sur les motivations présentées ci-dessus et invoquées lors des entretiens avec les leaders politiques. La priorisation a permis de montrer que trois éléments se distinguaient. Tout d’abord, nous avons pu constater que la recherche d’une représentation plus large de la population est une motivation évoquée systématiquement par les vingt-deux bourgmestres lorsqu’ils expliquent leur choix de coalition surdimensionnée.

En outre, les affinités personnelles avec le partenaire minoritaire sont déterminantes. Enfin, les récits et souvenirs des expériences précédentes vécues avec celui-ci sont omniprésents dans les discours des acteurs rencontrés quant au choix du partenaire de coalition.

Un modèle de négociation

L’ensemble des résultats que nous venons de présenter nous permet de proposer un modèle de négociation pour comprendre la formation de coalitions surdimensionnées au niveau de l’ensemble des communes wallonnes concernées par l’ouverture d’une majorité absolue.

Ce modèle reprend les deux étapes successives déjà mentionnées : le choix d’ouverture et le choix du partenaire minoritaire. Pour chacune de ces étapes, nous pouvons distinguer les "motivations nécessaires" et les "motivations "de soutien", pour reprendre la distinction opérée par Ellen Olislagers. Les "motivations nécessaires" sont celles qui conditionnent la négociation d’une coalition surdimensionnée tandis que les "motivations de soutien" représentent celles qui soutiennent le choix d’ouverture ou le choix du partenaire minoritaire sans pour autant en conditionner la négociation.

Ainsi, pour qu’une coalition surdimensionnée soit négociée, la recherche d’une plus large représentation doit être poursuivie par le parti politique qui a remporté une majorité absolue. Cette volonté constitue une "motivation nécessaire". Les deux autres motivations justifiant le choix d’ouverture, à savoir une gestion communale plus efficace et la disposition de relais supplémentaires, sont des "motivations de soutien", n’étant pas invoquées systématiquement par les bourgmestres et leaders politiques.

Dans le choix du partenaire de coalition, les affinités interpersonnelles et les expériences passées avec le groupe politique minoritaire sont des "motivations nécessaires" alors que les trois autres motivations (la proximité idéologique et programmatique, le nombre de sièges et l’influence des instances supérieures du parti) semblent être des "motivations de soutien".

Le modèle de négociation de majorités surdimensionnées au niveau local

De manière générale, en se concentrant sur les processus de négociation des coalitions surdimensionnées communales, notre étude a permis une meilleure compréhension du choix de l'ouverture et du partenaire de coalition: le choix de l’ouverture s'explique avant tout par la recherche d'une plus grande représentativité, et le choix du partenaire de coalition, par les affinités personnelles et les souvenirs du passé.  D’autres pistes de réflexion mériteraient d’être creusées, telles que l’évolution électorale des partis politiques qui ont fait le choix de former une coalition surdimensionnée ainsi que les motivations du partenaire minoritaire à entrer dans ce type de coalition.

Publication de référence:
Grandjean G., Meens V. (2022) Opening an Absolute Majority A Typology of Motivations for Opening and Selecting Coalition Partners. Politics of the Low Countries 4(1), pp. 27-51.

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Geoffrey Grandjean est professeur de science politique à l’Université de Liège et actuellement président de l’Association belge francophone de science politique (ABSP). Ses travaux portent sur l’histoire politique belge et européenne ainsi que sur les institutions politiques.

 

 

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Valentine Meens est chercheuse en science politique au centre de recherche Spiral à l’Université de Liège. Ses recherches portent sur les cantines scolaires ainsi que sur la participation citoyenne.

 

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Pictures: "Belgique - Bruxelles - Ixelles (Elsene) - Maison communale (hôtel de la Malibran)" by saigneurdeguerre licensed under CC BY-NC-SA 2.0. ; "Belgique - Bruxelles - Ixelles (Elsene) - Maison communale (hôtel de la Malibran)" by saigneurdeguerre licensed under CC BY-NC-SA 2.0.; "Wallos 2014" by paulmagnette licensed under CC BY-NC-SA 2.0.