Sécurisation des politiques migratoires françaises: quels effets sur les droits humains?

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Un billet rédigé par Shaima Jorio.

La "crise des réfugiés" de 2015 en Europe et les attentats qui ont touché la France cette même année ont donné lieu à des modifications importantes du droit des "étrangers" et des règles relatives à la sécurité intérieure. On pense notamment à la proclamation d’un état d’urgence ou encore à la loi antiterrorisme (Loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, 30 octobre 2017).

Dans ce contexte, cette thèse a examiné les effets en termes de criminalisation des politiques migratoires françaises sur les migrants, et ce, dans le contexte de l’Union européenne (UE). Il peut s’agir soit de l’usage dans le droit de l’immigration de mesures du système de justice pénale comme la rétention ; soit du contrôle social et du profilage racial des migrants ; ou encore de l’association entre immigration et criminalité dans les discours politiques.

Cette recherche s’est principalement concentrée sur le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) en France et sur des règles de l’UE en matière d’immigration et d’asile.

Par une approche d’analyse de contenu doublée d’une analyse du discours, appliquée aux textes juridiques, cette recherche identifie les mesures sécuritaires comprises dans le CESEDA afin de voir si elles participent à stigmatiser des migrants selon des marqueurs identitaires et à en exclure du droit d’asile, un droit pourtant inaliénable. L’objectif principal est de comprendre la construction de l’immigration-asile en "problème de sécurité" et de cerner dans quelle mesure le glissement des politiques migratoires vers une logique sécuritaire peut avoir un impact sur les droits humains, tels que le droit d’asile et le respect du principe de non-refoulement. 

La période analysée se situe entre 2001 (en raison des attentats du 11 septembre à New York et de leurs retombées socio-politiques dans les pays occidentaux) et 2015 avec les attentats du 7 janvier à Charlie Hebdo puis du 13 novembre 2015 à Paris, et de la crise de l’accueil dans les pays européens.

Sécurisation des politiques migratoires et protection des droits humains

L’analyse de l’équilibre entre les politiques migratoires sécuritaires et la protection des droits humains des migrants en France fait ressortir l’existence d’un lien entre les dispositifs antiterroristes et le CESEDA. La logique d’urgence suite aux attentats en 2015, liée à la lutte antiterrorisme, a participé à consolider cet élan de sécurisation des frontières.

Au niveau de l’UE, cette logique sécuritaire a été identifiée dans le Régime d’asile européen commun (RAEC) composé de cinq textes législatifs fixant les normes et procédures communes en matière de protection internationale.

Le règlement Dublin (2013) qui représente un des textes du RAEC illustre cet aspect. Il servirait en pratique à endiguer le nombre d’arrivées en imposant aux migrants de déposer leurs demandes d’asile dans le premier pays où ils sont entrés, et représenterait une mesure d’éloignement à l’échelle de l’UE qui révèle des défaillances en matière de répartition des migrants dans les États membres, puisque ce sont les pays du pourtour méditerranéen qui sont en première ligne (Grèce, Espagne, Italie, Malte, Chypre).

Cette recherche a ainsi démontré qu’un système d’asile européen, fondé sur le respect des droits fondamentaux des personnes en quête de protection et sur l’impératif de solidarité entre États, demeure une nécessité à satisfaire pour répondre aux obligations imposées par le droit international (Convention de Genève relative au statut des réfugiés, 1951). C’est d’autant plus le cas qu’aujourd’hui, les mesures prises par l’UE dans sa politique migratoire témoignent d’un durcissement des contrôles des frontières et participent à exclure certains migrants du droit d’asile.

Les enjeux identitaires des contrôles migratoires

Un autre objectif de cette recherche concernait l’identification de liens entre une gestion migratoire sécuritaire et une rhétorique identitaire. Un déploiement d’arguments identitaires et sécuritaires est observé au nom de "l’identité nationale", et il en ressort que le CESEDA serait d’une certaine manière instrumentalisé pour protéger les valeurs nationales.

Deux exemples controversés sont utilisés pour illustrer ce point : l’interdiction de la polygamie prévue par le CESEDA (alors qu’elle relève de la matière civile) comme motif de refus d’un titre de séjour ; et celle du voile intégral perçu comme un défaut d’intégration républicaine.

Ces interdictions sont justifiées par l’argument de la protection de l’ordre public et de l’équilibre social en utilisant l’égalité des sexes et la laïcité comme valeurs républicaines à protéger. Une telle instrumentalisation des valeurs participe à stigmatiser des populations, et implique des conséquences socio-juridiques sur les femmes et les enfants censé.es être protégé.s par de telles lois (exclusion, droits de succession, pensions, expulsion du territoire).

Des dispositifs de contrôle inscrits dans une gouvernementalité spécifique

Aussi, cette recherche a analysé à quel type de gouvernementalité conduisent les évolutions de ces cadres réglementaires. Il est d’abord apparu qu’il y aurait un croisement entre le droit pénal et le droit administratif dans le contrôle migratoire. La rétention administrative des migrants permet de mettre en lumière cette imbrication car, même s’il ne s’agit pas d’une détention criminelle au sens strict du droit pénal, elle autorise leur enfermement, le temps de statuer sur leur cas (généralement pour les expulser).

Finalement, cette thèse a montré que la criminalisation des migrants se critalliserait majoritairement autour d’un marqueur racial et religieux. Cela permet d’interpréter l’existence d’un schème colonial dans la gestion migratoire en France, malgré le fait que les textes de lois ne contiennent pas, a priori, de termes faisant directement écho au colonialisme.

Cette recherche a ainsi mis en lumière que des mesures restrictives mobilisées dans les évolutions récentes du CESEDA s’inscrivent dans une logique d’exception mettant en place des "zones de non-droit". Ces espaces caractérisés par le vide juridique, tels que les hotspots (îles grecques et italiennes) et les camps de réfugiés ("jungle de Calais"), font des migrants des exclus du droit.

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En conclusion, par une recherche fouillée des textes législatifs, cette thèse révèle l’imminence des enjeux migratoires dans les pays occidentaux et anciennement colonisateurs, tels que la France. Ces enjeux se révèlent être stratégiques car ancrés dans des rapports de pouvoir socio-historiques et dévoilent des dimensions identitaires, en lien avec les débats sur "l’identité nationale", l’insécurité civilisationnelle et les peurs d’invasion.

Référence:
Jorio S. (2020) La sécurisation des politiques migratoires françaises, en contexte européen. Effets sur les droits humains des migrants et des réfugiés, thèse de doctorat en sociologie, Université du Québec à Montréal.

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Shaima Jorio est docteure en sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). Au long de ses études supérieures en science politique à Sciences Po Paris et Toulouse, et en sociologie à l’Université du Québec à Montréal, Shaima Jorio a effectué plusieurs recherches sur les modes de gouvernance, principalement en lien avec les thématiques de la violence sociale, de l’exclusion, des discriminations raciales et celles basées sur le genre. Ses intérêts de recherche portent sur les logiques sécuritaires et criminalisantes des politiques d’immigration et d’asile en France et en Europe, ainsi que sur leurs effets sur les droits humains.

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Photos par Radek Homola, Fabien Maurin, Mika Baumeister et ev sur Unsplash.