La réglementation des partis politiques: entre normes juridiques et intérêts partisans

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Un billet de Thibault Gaudin.

En Belgique, les partis politiques occupent une place centrale dans l’exercice du pouvoir politique, à tel point que le Royaume est souvent qualifié de "particratie". Cela dit, à cette importance factuelle répond une curieuse quasi-absence juridique: hormis les règles de droit commun qui s’appliquent à toute association, les partis ne font que très peu l’objet de règles juridiques propres. Aucune disposition constitutionnelle ne leur est explicitement consacrée, et les quelques normes qui leur sont adressées ne concernent que leur financement public ou leurs dépenses électorales.

Sur le plan démocratique, il est essentiel que le citoyen puisse y voir clair quant aux quelques normes éparses qui entendent limiter ou encadrer l’action de ces acteurs centraux que sont les partis.  C’est pourquoi nous avons consacré cette recherche à ces questions, dont nous nous proposons ici de souligner quelques éléments clés. 

Les partis et la Constitution

Il est d’abord essentiel de souligner que la Constitution belge ne consacre aucune disposition aux partis politiques. Bien que depuis 2014, ils sont mentionnés à l’article 77 de la loi fondamentale, cet article ne fait que préciser que les lois concernant le financement des partis et les dépenses électorales doivent être adoptées par la Chambre et le Sénat. Hormis cette mention (marquant symboliquement l’entrée des partis dans la Constitution), les partis ne sont pas mentionnés dans la loi fondamentale.

Cependant, des juristes considèrent que certains articles constitutionnels fondent implicitement l’existence de partis politiques. D’abord, on pense à l’article 27, qui assure la liberté d’association. Dès 1830, il est clair pour les constituants que cette liberté peut être exercée dans un but politique, et peut donc impliquer la création d’associations politiques. D’autres juristes font remarquer que l’article 62 de la Constitution, qui prévoit que les élections sont organisées selon le principe de la représentation proportionnelle, ainsi que l’article 68, qui explique comment répartir les sièges au Sénat entre les listes en présence, impliquent en pratique l’existence de partis politiques.

En effet, la représentation proportionnelle distribue les sièges d’une circonscription aux différents partis qui s’y sont présentés au prorata de leurs résultats électoraux; comment faire si les partis n’existent pas? Même question quant aux sièges sénatoriaux: ils sont répartis entre des listes – c’est-à-dire, en pratique, des partis politiques.

Par ailleurs, il faut mentionner que certaines dispositions constitutionnelles, si elles ne reconnaissent explicitement aucun droit aux partis, influencent tout de même leur statut. Ainsi, l’article 42 de la Constitution, qui prévoit que les députés représentent la Nation et non leurs électeurs, aboutit à l’interdiction du mandat impératif: un député n’est, en droit, pas lié par la volonté de son parti – même si, dans les faits, la discipline partisane s’impose en raison de diverses contraintes implicites que les partis peuvent exercer.

A cette (relative) interdiction du mandat impératif s’ajoutent deux dispositions: les articles 65 et 70 de la Constitution, qui fixent à 5 ans la durée des législatures, respectivement pour la Chambre et le Sénat. Cela signifie que les hommes et femmes politiques sont élu.es, en leur nom personnel, pour cinq ans: leur parti ne pourrait en aucun cas leur retirer leur siège. Tout au plus (mais la menace est efficace) peut-il menacer de ne pas les faire figurer sur sa liste lors des prochaines élections.

Les partis et la législation fédérale ou fédérée

C’est au niveau fédéral que l’on peut trouver les normes les plus spécifiquement destinées aux partis politiques. Pas dans le Code électoral, comme on aurait pu s’y attendre: ce dernier fait mention de "liste" plutôt que de partis. C’est dans la loi du 4 juillet 1989 relative aux dépenses électorales et à la comptabilité ouverte des partis politiques que l’on ira puiser la seule ébauche de statut juridique explicite des partis. Mais l’ambition de ce texte demeure fort limitée: il s’agit simplement de permettre le financement public des partis, en échange de quoi ces derniers doivent publier leur comptabilité. Il n’a jamais été question de faire de cette norme la loi organique des partis, qui expliciterait leurs droits et leurs obligations du berceau à la tombe.

De ce texte, plusieurs éléments peuvent être mis en évidence: d’abord, les partis, pour être financés, ne doivent pas forcément se doter de la personnalité juridique. Conséquence: ils existent souvent juridiquement sous la forme d’un réseau opaque de multiples associations interconnectées (parfois jusqu’à 39 différentes!), ce qui les rend particulièrement évanescents. Ensuite, la loi contrôle et limite les dépenses électorales que peuvent engager les candidats et les partis. Enfin, la loi organise le financement public des partis, au regard de leur performance électorale: plus un parti recueille de sièges et de voix, plus il sera financé – ce qui est clairement défavorable aux petits et nouveaux partis. En contrepartie de ce financement, les partis doivent publier leurs comptes.

Un organe de contrôle existe pour s’assurer du respect de ce cadre légal. Cet organe est cependant une commission parlementaire, composée de 4 experts (nommés par le Parlement et avec voix consultative uniquement) et de parlementaires. Les partis politiques sont donc, en ce qui concerne leur financement et leurs dépenses électorales, simultanément juges et parties. 

Signalons enfin que la législation des entités fédérées demeure également muette sur les partis politiques, probablement parce qu’il est complexe de répondre clairement à la question de savoir qui est compétent, en Belgique, pour déterminer le statut des partis politiques. Même en ce qui concerne leur financement, les Régions et Communautés disposent d’une compétence marginale qui brouille les pistes.

Conclusion

Politiquement centraux, les partis politiques apparaissent en Belgique comme juridiquement évanescents. Ils ne reposent sur aucune disposition constitutionnelle, une seule loi leur est explicitement destinée, mais uniquement afin de les financer publiquement. En dehors de cela, quelques dispositions éparses balisent très modestement leur action. Ce n’est pas étonnant, dans la mesure où les partis sont, concrètement, législateurs. Lorsqu’ils ont besoin de clarté ou de légitimité, ils peuvent se saisir de l’instrument législatif pour agir; lorsqu’il semble indispensable d’imposer les mêmes règles à tous les compétiteurs, la norme juridique apparaît comme un outil privilégié. Mais il ne s’agit pas pour les partis politiques de s’imposer des contraintes excessives: l’empire de la loi s’arrête là où commence l’intérêt des partis.

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Publication de référence: Gaudin T. (2020) La régulation juridique des partis politiques. Courrier hebdomadaire du CRISP 38-39 (2483-2484), pp. 5-68.

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Thibault Gaudin est assistant au Centre de droit public et social de l’ULB. Ses recherches portent sur le droit constitutionnel et électoral, les partis politiques et leurs rapports avec la démocratie.

 

 

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