Les biocarburants, une alternative viable pour les transitions écologique et énergétique?

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Pour limiter le réchauffement et le dérèglement climatique mondial, les experts du Groupe intergouvernemental sur le climat ont indiqué que nous devrons renoncer aux énergies fossiles d’ici 2100, alors que ces dernières occupent encore aujourd’hui pas moins de 80% de nos approvisionnements énergétiques. Il faut donc trouver et développer rapidement d’autres sources d’énergie, dont les énergies renouvelables.

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À ce titre, les biocarburants ont, depuis les années 2000 et jusqu’à récemment, été traditionnellement considérés comme une alternative verte aux énergies fossiles. Pourtant, en 2015, l’Union européenne (UE) a émis plusieurs signaux annonçant un changement de positionnement à leur égard : non, les biocarburants ne représenteraient plus une alternative viable pour les transitions écologique et énergétique. Alors qu’en 2009, dans sa directive portant sur les énergies renouvelables (Directive 2009/28/CE), la Commission annonçait un objectif de 10% d’énergies renouvelables dans le secteur des transports (soit donc un objectif de 10% de biocarburants qui sont la principale source d’énergie renouvelable pour les transports), l’UE parle d’une limite maximale de 7% pour les biocarburants conventionnels dans sa directive révisée de 2015 (Directive 2015/1513/CE). Comment expliquer ce revirement de positionnement, d’autant qu’il reste jusqu’à présent une exception européenne puisque les autres acteurs internationaux continuent à percevoir les biocarburants comme une alternative viable ? C’est le questionnement auquel répond notre recherche collective parue récemment. Sur la base d’une analyse documentaire et d’entretiens auprès des acteurs ayant suivi l’élaboration des directives européennes, elle retrace et explique les différentes étapes de l’acceptation puis du rejet des biocarburants comme alternative verte.

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Les biocarburants sont des carburants produits à base de biomasse, c’est-à-dire qu’ils sont issus de matière organique. Alors que les scientifiques annoncent la possibilité de développer des biocarburants de deuxième (voire de troisième) génération à partir d’algues ou de déchets par exemple, la quasi-totalité des biocarburants utilisés aujourd’hui sont à base de denrées agricoles : colza, maïs, huile de palme, etc. Leur origine végétale a initialement poussé les acteurs internationaux à les classer comme énergie renouvelable, d’autant que leur production est potentiellement illimitée, et qu’elle ne demande pas plus de soins que l’agriculture.

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Dès lors, plusieurs acteurs gouvernementaux, notamment le Brésil, les États-Unis et l’Union européenne, se sont lancés dans la production de biocarburants dont le développement a été favorablement soutenu par les organisations internationales. Il n’existe pas d’organisation internationale unique produisant des réglementations sur les biocarburants mais un réseau d’organisations internationales ou « complexe de régimes », chacune agissant sur la gouvernance mondiale des biocarburants. Ainsi, la Banque mondiale a financé pas moins de 15 projets de biocarburants dans les pays en développement depuis 2007 ; la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques a intégré deux projets de biocarburants (en 2012 et 2013) dans son mécanisme de développement propre visant à la réduction des émissions ; l’Organisation mondiale pour le commerce (OMC) a classé les biocarburants comme biens agricoles ou industriels, en fonction de leur processus de production, afin de permettre à ses États membres de pratiquer des subsides nationaux importants pour encourager le développement de ce secteur.

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Mais à mesure que les institutions intergouvernementales soutiennent les biocarburants, des acteurs internationaux non-étatiques élèvent leur voix pour souligner leurs limites. Des organisations non-gouvernementales internationales environnementales comme Greenpeace, Friends of the Earth, WWF et des organisations non-gouvernementales internationales des droits de l’homme comme Action Aid ou Oxfam International ont créé une coalition de cause inattendue. Les premières insistent sur les impacts environnementaux des biocarburants. Les biocarburants posent le problème du changement d’allocation des terres et notamment de la déforestation lorsque des forêts tropicales sont remplacées par des plantations, par exemple, d’huile de palme. Ils posent également les mêmes difficultés que les pratiques agricoles dominantes avec le problème des monocultures intensives et de l’utilisation des OGM ou des pesticides. Enfin, les biocarburants soutiennent un modèle énergétique très similaire à celui des énergies fossiles, basé notamment sur les transports routiers. Les secondes soulignent les impacts conséquents des biocarburants sur les questions de droits de l’homme avec, notamment, le problème de l’accaparement illégal de terres (expropriation de populations locales et indigènes pour pratiquer des plantations intensives sur leurs terres), ou encore le problème de la sécurité alimentaire : de quel droit peut-on transformer des biens agricoles en énergie quand 10% de la population mondiale meure de faim ?

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En rassemblant leurs forces dès le début de la révision de la directive européenne, et en s’appuyant sur des données scientifiques et la renommée de personnalités internationales, comme le Prof. Olivier de Schutter, ancien Rapporteur des Nations unies sur le droit à l’alimentation, cette coalition d’ONG a réussi à faire plier la position européenne. Puisque l’UE est un acteur clé aussi bien à la Banque mondiale, qu’à l’OMC ou encore à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, leur espoir est de peu à peu faire plier l’engouement mondial pour les biocarburants.

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Le revirement européen est réel par rapport aux considérations environnementales et de droits de l’homme mais est certainement également stratégique. L’UE essaye en effet d’éviter que les biocarburants soient considérés comme des biens environnementaux par l’OMC. À l’OMC, les biens sont classés en trois catégories : agricole, environnementale et industrielle. Actuellement, les biocarburants sont considérés comme des biens agricoles ou des biens industriels, ce qui permet la pratique de subsides nationaux très importants. Ce n’est pas le cas pour les biens environnementaux qui ne peuvent être subsidiés. Les pays qui ne pratiquent pas de subsides, et notamment plusieurs pays d’Amérique latine, souhaitent donc que les biocarburants soient reconnus comme des biens environnementaux. Sur la période 2012-2014, quatre cas de litiges ont été portés auprès du mécanisme de règlement des différends de l’OMC, trois opposant l’Argentine à l’Union européenne et un opposant l’Indonésie à l’Union européenne, ces pays attaquant précisément l’UE pour qu’elle stoppe ses subsides et que les biocarburants soient reconnus comme des biens environnementaux. Pour l’UE, maintenir les biocarburants comme biens agricoles est essentiel puisqu’ils représentent une excellente porte de sortie à la production agricole excédentaire européenne. La position européenne risque alors l’incohérence puisque l’UE diminue son utilisation interne de biocarburants tout en continuant à subsidier son marché extérieur.

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Quelles que soient les évolutions à venir, plusieurs signes montrent que les biocarburants conventionnels ne représentent plus l’énergie du futur. Si les biocarburants ne sont pas une alternative viable, d’autres sources d’énergie renouvelable pourraient l’être et notamment l’énergie solaire qui, si la question de son stockage est résolue, représente très certainement l’énergie de notre futur.

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Article de référence: Orsini, A. et Godet, C. (2018) « Food Security and Biofuels Regulations: the Emulsifying Effect of International Regime Complexes », Journal of Contemporary European Research, 14 (1), pp. 4-22.

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. Amandine Orsini est professeure de science politique à l’Université Saint-Louis – Bruxelles. Spécialisée dans l’analyse des relations entre institutions internationales et acteurs non-étatiques, elle développe des études de cas qui relèvent principalement du domaine de l’environnement. En 2015, elle a notamment co-écrit Politique internationale de l’environnement aux Presses de Sciences Po Paris.