Comment organiser la consultation? Bilan et réflexions à partir de la réforme de la fonction consultative en Wallonie

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Le Courrier hebdomadaire du CRISP synthétisé ici examine une dimension omniprésente de la prise de décision politique : la consultation. Celle-ci consiste en la réunion de différentes parties prenantes qui formulent ensemble, dans les lieux prévus à cet effet, des avis qui sont transmis aux décideurs politiques. Si les organisations représentatives des employeurs et les syndicats de travailleurs sont souvent consultés, d’autres acteurs participent également régulièrement à la consultation : représentants du secteur associatif, organismes d’intérêt public, etc. La pluralité des acteurs nécessite une certaine organisation institutionnelle de manière à éviter que la consultation ne devienne un brouhaha peu audible et difficile à prendre en considération. L’article s’intéresse à la manière dont la consultation a été organisée au cours des dernières décennies jusqu’à la dernière réforme en date (votée en février 2017) qui a modifié l’architecture du système consultatif wallon.

Histoire d’une institutionnalisation progressive

En Région wallonne, la consultation est principalement organisée autour du Conseil économique et social de Wallonie (CESW) précédemment dénommé Conseil économique wallon (CEW). Le CEW a été créé en 1938 afin de défendre les intérêts économiques wallons auprès des instances décisionnaires de l’État central (la Belgique était alors encore unitaire) et s’apparentait à un groupe de pression dont les membres étaient issus des milieux industriel, syndical, politique, agricole et scientifique. Deux phases d’institutionnalisation sortent ensuite le CEW de sa position de groupe de pression et l’amènent à devenir d’abord l’interlocuteur officiel de l’État central pour la Wallonie en 1970, puis de l’exécutif wallon suite aux réformes institutionnelles des 8 et 9 août 1980. Les représentants politiques présents dans le CERW migrent alors vers les institutions politiques nouvellement créées au niveau wallon faisant évoluer la composition tripartite du CERW vers une composition bipartite (représentants des employeurs et des syndicats de travailleurs). Le CERW passe donc d’une logique de défense des intérêts wallons au niveau belge à une logique de représentation et de concertation des forces socio-économiques wallonnes. Ces modifications sont actées dans le décret du 25 mai 1983 qui institue le CERW et lui assigne trois missions :
  • la remise d’avis sur les matières relevant de la compétence de la Région ;
  • l’organisation de la concertation entre les interlocuteurs sociaux et l’exécutif régional wallon ;
  • la gestion du secrétariat d’autres commissions consultatives également chargées de rendre des avis sur les matières gérées par la Région wallonne.
Ces missions du CERW (rebaptisé Conseil économique et social de Wallonie – CESW – en 2011) ont gagné en importance suite à l’accroissement des compétences attribuées à la Région wallonne qui démultiplie les besoins en matière de consultation. La deuxième partie de l’article fait le point sur le paysage consultatif tel qu’il se profilait avant la dernière réforme, jusque dans le courant de l’année 2017. Le CESW constitue la partie émergée de l’iceberg : il est composé d’organes rassemblant les interlocuteurs sociaux et traitant principalement de matières liées économiques et sociales (sans y être restreint puisqu’il est compétent pour remettre des avis sur toutes les compétences régionales). Le CESW est également composé d’un secrétariat qui assure l’appui aux activités d’une trentaine de conseils consultatifs spécialisés : Comité de contrôle de l’eau ; Commission des déchets ; Conseil wallon de l’égalité entre les hommes et les femmes ; Observatoire du commerce ; etc. S’ajoutent à cela, en dehors du giron du CESW, une myriade d’autres instances consultatives fonctionnant soit de façon autonome, soit de façon  intégrée au Service public de Wallonie (SPW). La multiplicité des instances décuple les acteurs de la fonction consultative et mène à des modes de fonctionnement différents et peu coordonnés. À l’aube de la réforme de 2017, le paysage consultatif fort chargé et difficilement lisible en appelle à une réforme structurelle.

De la nécessité de réformer et de la difficulté à concilier

La réforme a été annoncée par le Ministre-Président wallon en 2014, le socialiste Paul Magnette. Celui-ci ambitionnait une « rationalisation » de la fonction consultative à travers trois objectifs :
  • la réduction du nombre d’instances consultatives,
  • la simplification de leur fonctionnement,
  • l’amélioration de leur représentativité démocratique.
Paul Magnette a donné à cette occasion un mandat aux interlocuteurs sociaux pour réinventer la fonction consultative. Parallèlement à cela, chaque ministre a été chargé de recenser les quelques 135 instances consultatives rattachées à leurs compétences respectives. Cette première phase de travail a débouché sur un projet de refonte du paysage consultatif qui définit la fonction consultative de manière à cibler les instances concernées. Le décret de février 2017 précise que « la fonction consultative est la mission consistant à remettre des avis, à formuler des observations, des suggestions, des propositions ou des recommandations, à la demande du gouvernement, du Parlement ou d’initiative, portant d’une part, sur des notes d’orientation du gouvernement ou sur des textes à portée générale ou stratégique et, d’autre part, sur des avant-projets de décrets ou d’arrêtés à portée réglementaire ». Ne sont donc pas visées les instances qui ne répondent pas à cette description (telles que les commissions d’avis sur des agréments, sur l’octroi de primes, ou sur les recours qui ont été pour la plupart renvoyées vers le SPW). Le cœur de la réforme proposée a consisté à rassembler les instances en pôles thématiques au sein du CESW. Cette disposition permet à ce dernier de coordonner les demandes et les remises d’avis, de manière à ce que le gouvernement reçoive en fin de processus un avis unique. Ce dispositif offre l’avantage de pallier à la multiplicité d’avis rendus sur une même thématique, parfois par les mêmes organisations siégeant dans différentes instances et étant prises dans des logiques schizophréniques. Cependant, plusieurs organisations se sont montrées sceptiques quant au bien-fondé de l’intégration de leurs instances aux pôles. De plus, elles rejettent la mainmise du CESW sur l’organisation des travaux qui relativise l’autonomie des pôles. Le positionnement des interlocuteurs sociaux à la fois dans les pôles (aux côtés des autres organisations consultées) et au CESW (exclusivement) a été plusieurs fois critiqué au cours de la réforme. Prenant pour exemples les Conseils économiques, sociaux et environnementaux français et le Conseil économique et social européen, au sein desquels une variété d’intérêts sont représentés en plus des intérêts patronaux et syndicaux, les défenseurs de cette conception élargie des intérêts représentés prônent une ouverture des organes du CESW, notamment aux intérêts environnementaux et de l’économie sociale. Moyennant plusieurs remaniements des pôles (nombres et thématiques) la réforme a finalement été adoptée par le gouvernement puis votée au Parlement wallon en février 2017 (la majorité PS/CDH y étant favorable, le MR et le PTB s’abstenant et Ecolo votant contre). La réforme n’est cependant pas exempte de critiques au regard des objectifs de « rationalisation » annoncés. En effet, la nouvelle architecture ne réduit pas significativement le nombre d’instances consultatives. Plusieurs d’entre elles sont restées hors de la réforme en raison de leurs compétences spécifiques tandis que les pôles thématiques remplaçant les instances restantes se voient parfois affublés de sections « sous-thématiques », démultipliant ainsi le nombre de participants et simplifiant peu leur fonctionnement. Le caractère limité de la réforme par rapport aux ambitions de départ illustre bien plus que de la difficulté à s’accorder sur des dispositifs d’ordre organisationnel. Pour les acteurs concernés, l’organisation de la fonction consultative interfère dans leur représentation politique et influe sur la prise en considération de leurs positions par le gouvernement. Bien que le traitement réservé par le gouvernement aux avis reçus ne soient pas directement ciblé par la réforme, celle-ci soulève la question de la place de la fonction consultative dans la démocratie représentative wallonne. Comme le montre sa trajectoire historique, elle est constamment appelée à s’adapter aux évolutions politiques, institutionnelles et sociétales de la Wallonie. Dans cette perspective, et alors que les institutions wallonnes ne sont pas épargnées par la crise de la démocratie représentative, le mode de fonctionnement de la consultation n’a pas radicalement changé suite à cette réforme. La conception de la fonction consultative reste celle d’un outil à optimiser afin qu’il aide efficacement à la prise de décision politique. Il ne s’agit pas ni d’un tremplin vers une plus grande implication de la société civile organisée dans la prise de décision, ni d’une ouverture vers des dispositifs participatifs.

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Article de référence : Guisset, A. (2018) « La réforme de la fonction consultative en Wallonie », Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2364-2365, 64 p.

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.   Anne Guisset est doctorante en science politique sous mandat FRESH (F.R.S.-FNRS) au Centre de recherche en science politique (CReSPo) de l’Université Saint-Louis – Bruxelles. Ses recherches portent sur la reconnaissance institutionnelle des intérêts de l’économie sociale dans les instances de concertation sociale belges. Elle a été chercheuse visiteuse au sein de l’Industrial relations research unit à l’Université de Warwick au Royaume-Uni de janvier à mars 2018.